Henri Groues (1912-2007) était un homme avant d’être un prêtre. Point. Un homme d’Église qui n’a pas su, au vu des révélations nombreuses sur les abus sexuels dont il s’est rendu coupable, dominer ses passions et ses pulsions.
Un homme de son époque, durant laquelle personne ne discutait le magistère des religieux et de l’Église catholique, et surtout pas les femmes abusées sous leur emprise. Un homme dont la biographie, comme il se doit pour chacun d’entre nous, doit être évidemment revisitée à l’aune de tous ses actes, sans rien occulter. Relire sa biographie à l’aune de son seul héroïsme de lutteur pour les plus démunis, les plus précaires et les plus mal-logés est aujourd’hui impossible.
L’héritage et l’histoire
Reste l’héritage. L’histoire. Les faits qui ont changé notre société, car la Suisse, comme la Belgique, constituait un terrain d’action pour cet infatigable combattant contre les inégalités. J’ai plusieurs fois rencontré l’Abbé Pierre dans son repaire de Normandie, au crépuscule de sa vie active d’inspirateur du mouvement Emmaüs. Le religieux capucin, l’une des branches de l’ordre catholique des Franciscains, était à la fois gourou, référence, arbitre, modèle et enseignant pour tous ceux qui, en raison de leurs fragilités et de leurs parcours de vie décousus, vivaient autour de lui. Son appel à l’aide aux plus faibles, lançé le 1er février 1954 alors qu’un froid glacial s’abattait sur Paris, était leur cri de ralliement. Leur credo. Leur raison d’être et d’agir.
Rendre justice
Crucifier l’Abbé Pierre, débaptiser les foyers qui portent son nom – y compris en Suisse où il fut exfiltré en Suisse par la hiérarchie catholique à la fin des années 50 pour faire oublier certains abus précoces – ne rendra pas justice à celles que l’homme de foi a offensé et violenté. Au risque d’oublier le courage. La volonté. L’exemple qui, chez tous ceux ne connaissaient pas sa face sombre, demeure une tranche de vie et d’action éloquente, dans des sociétés où les plus pauvres sont encore aujourd’hui broyés, parfois abandonnés sous nos yeux de témoins trop souvent égoïstes.
Il faut, dans le cas de telles personnalités, parvenir à trouver un juste milieu dans notre appréciation à postériori. Tout dire et tout écrire, oui. Reconnaître l’aveuglement de ceux qui laissèrent faire, au mépris des femmes et des jeunes filles alors contraintes d’accepter ses gestes déplacés, humiliants et blessants, oui. Mais gardons-nous des condamnations trop simples, trop expéditives, trop peu respectueuses de tous ceux qui, grâce à des hommes comme l’Abbé Pierre, ont aussi retrouvé leur dignité et une raison de vivre. Le discernement, et une part de pardon, doivent accompagner nos jugements lorsque le moment vient de dire et d'établir les faits en vue d'éventuelles réparations. Y compris lorsqu'ils suscitent notre réprobation.