Pour visiter le chantier du plus grand projet de recherche international au monde, situé à Saint-Paul-lès-Durance dans les environs d'Aix-en-Provence (sud de la France), il faut des bottes de travail, des gants, des lunettes de protection, une combinaison blanche, un casque en plastique jaune… et beaucoup d’imagination.
Car l’International Thermonuclear Experimental Reactor, appelé Iter, fait tomber les étoiles du ciel, ou plutôt leur énergie. D’ici quelques décennies, la fusion nucléaire pourrait bien résoudre les problèmes actuels d’approvisionnement énergétique. Blick est allé visiter l’installation.
Des visites scientifiques, économiques et politiques
Cette excursion dans le futur commence dans un simple entrepôt. Porte-parole du projet, Sabina Griffith connaît bien les lieux. Elle est derrière le volant du minibus, qu’elle manœuvre sur le terrain de 42 hectares du centre de recherche nucléaire de Cadarache. Elle promène le véhicule le long des 39 bâtiments où travaillent plus de 2300 personnes.
«On n’a jamais eu autant de visiteurs, raconte-t-elle. Rien que cette semaine, 21 groupes sont venus. Il s’agit, de plus en plus, de délégations internationales. Elles viennent du monde scientifique, mais aussi politique, économique et même financier.»
Le plus grand réacteur à fusion du monde
Tout est gigantesque chez Iter. L’installation de refroidissement, le transformateur électrique et les entrepôts pour les composants de réacteurs font chacun la taille d’une maison. La vision d’avenir qui s’ouvre derrière les portes de l’atelier de montage est elle aussi incroyable. Le «sanctuaire» d’Iter brille sous la lumière des néons: le tokamak, un type de réacteur à fusion, est en cours de construction.
Au centre de la halle de montage, la chambre de combustion est elle aussi en train d’être construite. De forme circulaire, 60 mètres de haut, 30 mètres de diamètre, l’édifice est titanesque. Une fois terminée, la construction en béton pèsera 440’000 tonnes et abritera le plus grand réacteur à fusion du monde.
Dans ce cylindre garni d’aimants géants, on a prévu de relever, d’ici à 2025, un pari fou: reproduire l’énergie présente au cœur du soleil. «C’est l’avenir!», assure Sabina Griffith.
Plus chaud que le soleil
«Dans cet énorme récipient sous vide, une soupe de plasma doit se former à partir d’hydrogène gazeux, explique la porte-parole. Chauffée à 150 millions de degrés Celsius, celle-ci produit une grande quantité de vapeur d’eau destinée à faire tourner les turbines. Une température aussi élevée que dans le noyau du soleil!»
«Cette technologie permettrait de produire de l’électricité en grande quantité pour alimenter les mégapoles ainsi que les grands centres industriels mondiaux», résume Sabina Griffith. La fusion nucléaire libère en effet quatre fois plus d’énergie que la combustion de gaz, de charbon ou de pétrole. Et elle est quatre fois plus puissante que la fission nucléaire, le principe des centrales nucléaires actuelles.
La fin des déchets nucléaires
De plus, elle n’induit pas de danger de fusion (ou fonte) du cœur du réacteur et la radioactivité des déchets prendrait fin après douze ans, contre des dizaines de milliers d'années pour les déchets des centrales nucléaires. Avec la fusion, la problématique du stockage des déchets nucléaires appartiendrait définitivement à l’histoire.
Mieux encore: impossible de détourner les éléments radioactifs du nucléaire civil pour en faire des armes nucléaires. Les combustibles nécessaires à la fusion, comme le deutérium et le tritium, peuvent être facilement produits. Le lithium, qui peut aussi être utilisé, est disponible en quantité suffisante, avec 89 millions de tonnes dans le monde. De plus, les réacteurs à fusion ne rejettent pas de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Indépendance énergétique
Des perspectives fort ensoleillées pour la politique mondiale, en bref. La fusion nucléaire permettrait d’atteindre les objectifs climatiques posés par la COP21 et de subvenir aux besoins énergétiques d’une population mondiale sans cesse croissante.
Et la guerre en Ukraine a montré à quel point la dépendance énergétique envers un pays tiers (la Russie, pour ne pas la citer) peut être problématique. «Iter est un projet de paix», professe Sabina Griffith.
Le projet a vu le jour en 2007 et repose sur une étroite collaboration entre ses 35 États membres. L’UE ainsi que la Grande-Bretagne et la Suisse participent à près de la moitié du financement et de la production d’Iter. Les États-Unis, la Chine, le Japon, la Corée, l’Inde et la Russie apportent le reste.
«Personne ne pourra arrêter la fusion nucléaire»
Chaque pays fabrique des pièces pour le tokamak dans les secteurs industriels où il excelle. Le Japon fournit par exemple des supraconducteurs, l’Inde et la Corée de l’acier de très haute qualité. La Russie fournit des bobines magnétiques. Pour l’instant, du moins.
«Pour l’heure, Iter n’a pas été concerné par les sanctions, explique Sabina Griffith. La Russie a promis de livrer ses pièces à temps. Si elles n’arrivent pas, cela bloquerait la construction, par effet domino. Mais je suis confiante, notre projet a toujours connu des hauts et des bas. Personne ne pourra arrêter la fusion nucléaire.»
(Adaptation par Alexandre Cudré)