Le 6 août, sur la place des Nations à Genève, une centaine de militants se sont réunis pour soutenir Paul Watson. Le militant de 73 ans, fondateur de Sea Sheperd, a été placé en détention le 21 juillet dernier au Danemark, et risque d'être extradé vers le Japon dès le 15 août prochain. Le pays du soleil levant veut l'écrouer pour 15 ans, pour ses actions contre les navires-usines baleiniers.
À Genève, Virginia Markus, militante antispéciste, autrice et fondatrice de l'association Co&xister, donnait de la voix pour Paul Watson. Lucide, elle sait que le petit nombre présent en soutien ne changera rien. Mais espère que la mobilisation à travers l'Europe fera pression sur le Danemark.
Blick a contacté la militante pour parler du Capitaine Watson, de l'amour dans les yeux des cochons, et de la Suisse qui change lentement — mais sûrement— ses habitudes. Interview.
Virginia Markus, Paul Watson pourrait finir sa vie en prison pour ses actions contre les navires-usines baleiniers. Comment le vivez-vous?
Ce risque est une réalité des luttes sociales, écologistes ou animalistes. Les gens qui luttent le prennent. Quand je menais des actions de désobéissance civile, j'étais consciente que je pouvais finir incarcérée pour avoir dénoncé la réalité des animaux dits de rente, mais c'est un risque politique. Il vient mettre le doigt sur ce non-sens qu'est l'emprisonnement de ceux qui se battent pour mettre fin à une souffrance.
En plus de manifester votre soutien, vous avez adressé un courrier à la Mission Permanente du Danemark, signé par des militants et des élus, comme le conseiller aux États vaudois Pierre-Yves Maillard. Pensez-vous qu'on vous répondra?
Non, je ne pense pas. Mais la mobilisation citoyenne et politique peut exercer une pression. Nous ne sommes pas juste un groupuscule, le soutien est fort partout en Europe.
Avez-vous rencontré le Capitaine Watson?
Non, mais je suis très en lien avec la présidente de Sea Sheperd, qui est actuellement au Danemark et en contact permanent avec lui. Elle viendra au refuge le 28 septembre.
Vous-même, vous avez été condamnée en 2020, notamment pour l'enlèvement de 18 cabris à l'abattoir de Rolle. Vous vous sentez proche des méthodes de Paul Watson?
C'est un des initiateurs de la défense des océans et des animaux marins, il nous inspire, bien sûr. Son intégrité également. Il relève d’un devoir moral que de s’opposer à une injustice, même si elle est aujourd’hui considérée comme légale, comme l’est l’exploitation des animaux pour la viande. Et je vois un changement depuis 10 ans, l'opinion publique a été secouée et a évolué.
Dans quel sens?
On parle aujourd'hui du bien-être animal, à la fois en politique et en société. En Suisse, on a pris un peu d'avance et nos actions de désobéissance ont déclenché une préoccupation sociétale. La votation de 2023 sur l'élevage intensif, bien qu'elle ait été refusée, est une victoire. Cela veut dire que politiquement, ce thème est porté, débattu.
C'est pour cela qu'on vous voit moins? Il n'y a plus besoin d'actions chocs en Suisse?
Les modes de militantisme sont complémentaires. Personnellement, je n'ai pas peur du conflit, j'ai mené différents types d’actions, et je suis reconnaissante que d'autres préfèrent donner des cours de cuisine végétale ou faire du lobbying. La complémentarité est très importante. Mais oui, on a passé une étape depuis que le monde politique s'intéresse à la question. Les lignes continuent de bouger. En France, ça n'est pas du tout le cas, c'est très compliqué d'atteindre le monde politique.
Les Suisses sont plus enclins au changement?
En termes d'alimentation, je dirais qu'il y a moins de fierté, même s'il y a une culture du fromage et de la saucisse en Suisse. Mais il y a dix ans, il n'y avait aucune alternative à la viande et désormais, il y en a partout, les magasins les mettent en avant. S'il n'y avait pas de demande, ça n'aurait pas de sens économiquement d'en proposer.
Pourtant, la consommation de viande stagne en Suisse. Ça ne vous décourage jamais?
C'est très dur de voir l'impact de nos actions à court terme. Cela dit, Proviande a publié son rapport annuel l'an passé et pour la première fois, la consommation de viande avait diminué. Nos actions de désobéissance civile datent de 2017-2019, une préoccupation s'est installée, dans 10 ou 15 ans la situation aura sans doute évolué. Aujourd'hui, outre les alternatives à la viande proposées en magasins, un nombre exponentiel d'éleveurs veulent arrêter d'exploiter les animaux.
Et votre association, Co&xister, les accompagne?
Oui, je fais de l'accompagnement sur-mesure. Je ne vais pas taper à leur porte, ce sont elles et eux qui viennent vers moi. On trouve des solutions pour les animaux, on regarde quelles formations les éleveuses et les éleveurs veulent entreprendre. On ne démantèle pas le système en laissant le chaos, on regarde comment évoluer au sein de la société. L'écrasante majorité des éleveurs ont appris leur métier de leurs parents, mais ils sont souvent sensibles et aiment leurs animaux.
Vous arrivez à vous entendre avec eux?
Oui, nourrir la population est une valeur louable, et encore une fois, les éleveurs, pour la plupart, aiment leurs animaux. Une proportion infime, certes, n'a pas d'empathie pour eux.
Combien d'éleveurs avez-vous accompagnés?
Une quinzaine depuis 2021. Six se sont totalement reconvertis, trois sont en train de changer, et les autres sont encore en questionnement. C'est humain, il s'agit d'un gros changement de vie. Nous avons aussi créé une antenne en France, où il y a une demande. Mais je ne recense que ceux qui m'ont contactée, certains ont probablement fait ce chemin de leur côté.
Savez-vous combien d'éleveurs ont cessé leurs activités en Suisse?
Non, je n'ai pas de chiffres en dehors de ceux qui contactent l’association HOF NARR en Suisse allemande, et nous. Cependant, il semble que de moins en moins de fils et filles d’éleveurs souhaitent reprendre l’exploitation familiale. Il y a l'éthique, mais aussi la dureté du travail, les heures extrêmement longues pour une mauvaise paie. Les éleveurs qui ont transitionné vers d’autres métiers me disent qu'ils auraient dû faire ça depuis le début... Quand j'enquêtais sur les exploitations laitières, j'avais découvert que 1000 d'entre elles fermaient chaque année en Suisse.
Vous avez publié, en 2018, un ouvrage intitulé «Désobéir avec amour: Manifeste antispéciste». Comment on désobéit avec amour?
On ne le fait pas contre les gens. Paul Watson n’agit pas personnellement contre les marins à bord des baleiniers. Moi non plus, je ne m'en prends pas aux bouchers ou aux employés des abattoirs en tant qu’individus. On s'oppose à la mise à mort cruelle des baleines, des animaux de rente, à la réalité des animaux qui souffrent horriblement. On n'est pas dans une démarche de clivage, au contraire, on cherche à mettre en œuvre des solutions constructives.
Cette année, vous publiiez, en janvier, «Ce que murmurent les animaux». Que murmurent-ils?
Ils sont de vrais enseignants de vie, on apprend d'eux tous les jours, si on les écoute plutôt que de les utiliser pour leur chair, leur lait ou leur force. Il y a de grandes caricatures qui visent à dénigrer les animaux: les vaches sont bêtes, les cochons sont sales, les moutons sont suiveurs. Or, on peut avoir avec eux le même rapport qu'avec un chat ou un chien. Les cochons, par exemple, me font la fête quand je vais les voir. Ils sont d'ailleurs les plus propres du sanctuaire! Mais si on les entasse comme des biens de consommation dans une pièce sans lumière, évidemment, ils sont sales, comme les humains le seraient dans des conditions similaires.
Ce sanctuaire dont vous parlez, où est basée votre association, à Frenières-sur-Bex (VD), on peut le visiter?
Oui, mais ça n'est pas un zoo, on ne va que vers les animaux qui sont consentants et aiment le contact, et seulement dans le cadre des événements privés ou publics que nous organisons.
Que peut-on y faire?
Rencontrer les animaux et les voir, vraiment, pour qui ils sont. On peut fêter son anniversaire au sanctuaire, par exemple. Moi, j'explique l'histoire des animaux, mais c'est la rencontre qui fait tout, pour convaincre ceux qui ne le sont pas encore totalement. Quand on regarde un cochon dans les yeux, qu'on voit qu'il est joueur, qu'il aime ses congénères et qu'il nous aime, nous, on se dit qu'on ne mangera plus du jambon comme avant. C'est sûr, quand on pense que c'est juste une bête sale, c'est plus facile.
Les stéréotypes des contes pour enfants font du mal aux animaux?
Je pense que oui. Mais pas qu'aux animaux d'ailleurs. On a longtemps écrit que les femmes avaient un cerveau plus petit pour justifier le patriarcat. Ou que les personnes racisées n'avaient pas la même valeur que les Blancs.