Vous ne connaissez sûrement pas «Le Canard Huppé». Mais le journal engagé d'Unipoly, association estudiantine écolo de l'École polytechnique fédérale (EPFL) et l'Université de Lausanne (UNIL), fait parler de lui depuis le 13 février.
Ce mardi-là, le média publie un article au titre accusateur: «EPFL, le mythe de la neutralité ou comment l’école a aidé Israël à développer des armes». Le texte n'a visiblement pas plu à l'institution, qui a demandé — et obtenu — un droit de réponse après publication.
«Le Canard Huppé» déterre en fait une affaire «sortie» par «L'Hebdo» en décembre 2003. L'EPFL est alors sous le coup d'une enquête pénale — menée par le Ministère public de la Confédération — pour avoir vendu «des connaissances de pointe à une entreprise israélienne d'armement», nommée Rafael.
Concrètement, et pour 70'000 francs, l'institution a formé durant trois semaines des spécialistes israéliens au sein de son laboratoire de céramique. Une machine a également été envoyée à Haïfa, avec la garantie d'une assistance téléphonique de quinze heures.
«Probablement contribué au génocide en cours»
Au cœur de la collaboration, des matériaux piézoélectriques, minuscules éléments capables de transformer un mouvement mécanique en énergie électrique. Depuis la collaboration avec l'EPFL, le fabricant d'armes israélien a déposé 20 brevets mentionnant de tels composants, selon «Le Canard Huppé».
«On y trouve un gyroscope, [...] un projectile «moins» létal, un allumeur d’explosif, une arme à base de laser à haute puissance et bien d’autres», développe l'article. Impossible toutefois d'affirmer que ces productions ont été rendues possible grâce à l'EPFL, concède cependant «Le Canard Huppé», qui qualifie Tsahal «d'armée d'apartheid».
Reste que les accusations du comité de rédaction estudiantin sont graves: «L'université est responsable d’avoir formé des ingénieur·xes (ndlr: langage inclusif) de l’état israélien et que son soutien technologique a, par extension, probablement contribué au génocide en cours» à Gaza.
Il est ajouté que l'EPFL a gardé de bonnes relations avec des politiciens israéliens de premier plan après 2003. Les présidents Shimon Peres et Isaac Herzog ont tous les deux été accueillis sur le campus, respectivement en 2011 et 2022.
L'EPFL «réfute tout lien» avec la guerre actuelle
Après la mise en ligne du papier, l'EPFL a demandé et obtenu un droit de réponse. Dès les premières lignes, elle confirme l'existence d'une collaboration passée avec la société israélienne d'armement, qui remonte à 2002.
En revanche, «l’EPFL réfute [...] tout lien entre cette collaboration scientifique et la dramatique situation actuelle à Gaza, en particulier l’hypothèse selon laquelle 'son soutien technologique a, par extension, probablement contribué au génocide en cours'». Concernant la visite de Shimon Peres, décédé en 2016, elle «était liée à la signature d’un accord de collaboration en neurosciences entre le Edmond and Lilly Safra Center for Brain Sciences (ELSC) de l’Université publique de Jérusalem et l’EPFL».
L'école s'oppose par ailleurs «à toute action de boycott académique» puisque «la science est, par essence, internationale». «Elle condamne fermement tout acte contraire au droit humanitaire international. [Et] encourage par ailleurs sa communauté, et les associations qui en font partie comme Unipoly, à éviter l’escalade politique, à contribuer à apaiser la situation et promouvoir une solution pacifique.»
Aucun regret exprimé
Vous l'aurez peut-être remarqué: l'EPFL évite soigneusement de répondre à certaines questions de fond. Par exemple, estime-t-elle avoir aidé Israël à développer des armes? Contacté par Blick, Emmanuel Barraud répond par la négative. «L’EPFL a apporté son expertise dans un champ d’étude particulier [...] dont les domaines d’application sont très larges», écrit le porte-parole dans un e-mail ce lundi.
Des armes fabriquées grâce à la collaboration avec l'EPFL sont-elles, à sa connaissance, utilisées actuellement par l'armée israélienne? «Non. La collaboration entre Rafael et l’EPFL a permis à l’époque à des ingénieurs d’acquérir des compétences spécifiques dans le domaine des matériaux piézoélectriques. Il s’agissait de compétences de base.» Ces connaissances étaient «non spécifiques à la fabrication d'armes».
Le communicant précise au passage que la «procédure de vérification du Ministère public de la Confédération menée à l’époque a pu être classée sans suite, ce qui montre que l’EPFL avait agi conformément aux règles». Ainsi, l'entité ne regrette pas avoir honoré ce contrat.
Financement de l'armée étasunienne
L’EPFL a-t-elle collaboré ou collabore-t-elle avec d’autres sociétés d’armement dans le monde? «Très rarement, lâche Emmanuel Barraud. Quelques projets de recherche ont par exemple bénéficié d’une part de financement provenant du Département américain de la défense.»
Comment le justifier? «L’expertise ou les nouvelles découvertes développées dans le cadre d’un contrat de collaboration font l’objet de publications scientifiques, voire de dépôts de brevets, qui sont souvent de nature à être appliqués à toutes sortes de domaines.» Les matériaux piézoélectriques se retrouvent par exemple dans des appareils d'échographie médicale.
D'autre part, «dans les cas 'dual use' possible (soit l’usage civil et possiblement militaire), l’EPFL active un processus d’analyse qui est décrit publiquement et débouche sur une autorisation ou non de mener la recherche». Pour «renforcer encore ses capacités d'analyse», l'établissement est en train de mettre en place un comité d'éthique.