Une zone urbaine saccagée, à cause de la manière dont nous construisons? À Morges, le cours d'eau qui traverse la ville a débordé, ce mardi 25 juin. De la Migros à la route, en passant par les caves des particuliers et la pizzeria: au vu du nombre d'interventions des pompiers, la crue coûtera cher aux assurances. Mais pourquoi la Morges a-t-elle fait tant de dégâts dans la petite ville vaudoise du même nom? Et pourquoi les villes suisses semblent-elles si vulnérables aux inondations?
À l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), architectes et urbanistes réfléchissent à ces enjeux pour les villes futures. Notamment au sein du Centre de recherche Habitat (HRC) dirigé par Paola Viganò. Le potentiel d'inondation est plus élevé dans les villes que dans les petites communes.
Ancien habitant de Morges, le chercheur et coordinateur du centre Tommaso Pietropolli a répondu aux questions de Blick sur les dégâts de l'eau en ville et les pistes de solutions. Interview du chercheur post-doctoral d'origine italienne.
Tommaso Pietropolli, aussi bien comme architecte urbaniste que comme ex-habitant de Morges, qu'avez-vous ressenti à la vue des images de la ville inondée?
Une telle situation ne surprend pas les professionnels. Avec le dérèglement climatique, de grandes quantités d'eau arrivent plus souvent et plus soudainement. La Morges s'est comportée comme elle doit le faire au naturel. Une rivière vivante peut sortir de son lit. Cela dit, je ne peux pas être content de ce que j'ai vu, parce que cela génère des dégâts importants. Même sans le souhaiter, c'est notre modèle de développement urbain qui a généré ce risque.
Comment?
Par exemple en minéralisant (ndlr: bétonnant) des espaces qui ne l'étaient pas en prévoyant une place énorme pour les voitures ou en densifiant les centres urbains. On connait ces risques et on sait que nos villes sont très minéralisées et donc fragiles.
Pourquoi l'eau n'a-t-elle pas simplement ruisselé jusqu'à être évacuée?
Ce n'est pas l'eau le problème. C'est comment on va la gérer. Prenons l'exemple des rivières en milieu urbain. Pendant des décennies, on les a canalisées et bétonnées. On a traité l'eau comme un élément à faire ruisseler le plus vite possible hors de la ville. À l'aide de tuyaux, de canons: tout ce qui pouvait drainer l'eau plus loin. Cette vision du monde perdure encore dans certains milieux en Suisse. Avec le dérèglement climatique, on n'y arrive plus.
Mais comment faire mieux?
On peut faire appel au concept de «ville éponge». Cette méthode veut que la ville soit capable de ralentir l'eau, de la stocker en zone urbaine plutôt que de l'évacuer. Pour cela, il faut déminéraliser des parcelles entières, créer des bassins souterrains, des fossés et des tranchées. Ces systèmes ne prennent pas énormément de place. Ils créent des brèches dans la partie minérale pour laisser l'eau s'infiltrer dans les sols.
Pour vous, la densification de la population joue un rôle?
Oui, c'est une stratégie fédérale qui vise à limiter l'étalement urbain dans les zones fertiles et agricoles. Mais elle génère des conflits disciplinaires dans les villes denses, où il y a très peu d'espaces verts. En cas de grandes pluies, ceux-ci font office de réservoirs pour que l'eau s'infiltre. Ces événements devraient nous faire anticiper une stratégie globale de gestion territoriale de l'eau.
Est-ce que les urbanistes arrivent à imposer ces thèmes aux politiques publiques qui gèrent l'espace urbain?
Les institutions sont conscientes du problème. Les assurances aussi. Mais est-ce que le système de développement urbain — c'est-à-dire les promoteurs, les propriétaires, la gestion du foncier — est prêt à ce changement majeur? Là, je n'en suis pas si sûr. Le rythme d'amélioration reste lent.
À cause de cette dualité public-privé?
C'est un peu simpliste de s'arrêter à ça. Même si cette dynamique existe peut-être. C'est une question complexe. Chaque projet ne pourra pas résoudre la question individuellement. Ce changement de paradigme prendra du temps. Ce n'est pas évident de tout aligner.