Dire que Morges a été coupée en deux par le violent orage qui a frappé la ville et fait déborder la rivière mardi soir n’est pas qu’une image. Mercredi matin, le long de la Grand Rue, c’est vraiment « deux salles, deux ambiances ». Au niveau du marché, impossible de croire aux intempéries de la veille.
À partir du numéro 80, la rue se fait boueuse. Et à l’extrémité de la voie piétonne, alors que se dessinent les contours du château, c’est la Bérézina. Ragip Llabjani s’affaire devant sa pizzeria du 93 Grand-Rue, Il Napoletano, inondée mardi soir par la Morges en folie. «Il a d’abord plu, il y avait un peu d’eau, mais je me suis dit que ça irait, se remémore le restaurateur. J’ai eu le temps de faire trois pizzas et l’inondation était là!»
Pomper, nettoyer, jeter les denrées
Dans son restaurant, les machines tournent, aspirent l’eau. La boue a taché le mobilier. «L’eau est montée jusque-là», explique Ragip en montrant les hauts pieds de ses chaises d'extérieur. Tout s’est déroulé aux alentours de 20h, durant son service. «J’ai dit aux gens qui arrivaient qu’ils devraient partir. J’ai offert le repas à une dame d’un certain âge, qui est restée avec nous.»
Difficile à ce stade d’évaluer les dégâts: l’important, c’est de nettoyer et de tester le matériel dans la cuisine —Ragip a tout coupé dès que l’eau s’est infiltrée, d’abord dans la réserve, puis dans la cuisine et dans la salle à manger. «On doit faire le tri des produits endommagés, et ensuite, on verra avec l’assurance… Peut-être dans deux ans », rigole le patron, qui souhaite redémarrer le plus vite possible.
«L'ascenseur faisait un bruit de machine à laver»
Les magasins qui l’entourent sont tous dans la même situation: vitres à nettoyer, marchandises boueuses à examiner. Au port, la voirie s’affaire à débarrasser des branches du lac. Les bateaux semblent posés sur du bois. Les camionnettes nettoyeuses s’affairent et pataugent, elles aussi, dans la boue. Des mamans tentent sans succès de préserver les vêtements des gamins, ravis de cette marée boueuse.
À la boulangerie Fleurs de pain, Dorcas raconte avoir eu peur pour ses enfants. «Quand je suis partie à 5h ce matin, j’ai appelé l’ascenseur qui a fait un bruit de machine à laver. Ça fait peur! confie la jeune femme. Je suis retournée dans mon appartement dire aux enfants de prendre les escaliers.»
«Le garage est certainement plein d'eau»
Son immeuble borde la rivière. Mardi 25 au soir, Dorcas était à la maison. «Mon petit frère m'a appelé, il devait venir, mais l'accès était déjà bloqué. J'ai cru qu'il n'y avait que de la pluie, et quand j'ai regardé par la fenêtre, j'ai vu toute l'eau, raconte-t-elle. L'immeuble a été inondé, je n'ai pas encore regardé dans la cave... Le garage est certainement plein d'eau.»
Au marché, Luis et Alain débattent: l'eau est-elle arrivée «jusqu'ici» ou «jusque-là», mouvements de main à l'appui. Anna, elle, s'estime heureuse qu'«au moins, ça ne pue pas». Et aucune victime n'est à déplorer. «Nous avons mené plus de 200 interventions depuis 18h hier soir, indique le Commandant du SIS Morget, Thierry Charrey. Une quinzaine sont en cours de traitement.»
Pompiers et commerçants main dans la main
Bientôt l'heure du coucher pour les équipes du Commandant? «On est encore sur le pont un petit moment», rigole-t-il au téléphone. Cette crue de tous les records a atteint 43 m3 d'eau par seconde, contre... 3 ou 4 m3/seconde, en temps normal.
En ville, les pompiers aident les commerçants touchés par les intempéries. «Tout ce qui est pompage, c'est nous et nos machines», précise le Commandant Thierry Charrey. Les commerçants se chargeront ensuite des demandes d'indemnité.
Mais que se passe-t-il?
Quant à cette cliente de la boulangerie Locatelli, elle est sûrement la seule à avoir loupé cet épisode. «J'ai voulu aller me détendre au casino, mais c'était fermé, vous savez ce qui se passe?», demande-t-elle à la boulangère.
Sourires. «Euh, oui, vous savez... L'orage?»