Tous les trois ans, la sortie de cette étude est scrutée avec attention. Le classement PISA, réalisé dans les 34 pays membres de l’OCDE, permet en effet de saisir le niveau des élèves de 15 ans. Il est donc souvent brandi pour démontrer la faiblesse ou, au contraire, la force d’un système scolaire. Selon le dernier rapport, publié mardi et basé sur des études menées l’année dernière, la Suisse s’en sort avec les honneurs. Il y a trois ans, elle pointait à la 23e place du classement. Cette année, la voici cinquième, juste derrière l’Estonie et devant le Canada.
Trois domaines sont évalués dans cette étude: la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences. Dans les trois, les jeunes Suisses obtiennent des résultats largement supérieurs à la moyenne de l’OCDE. Le classement PISA distingue aussi la proportion d’élèves très performants dans ces matières et, là encore, la Suisse en compte plus que la plupart des autres pays. Détiendrait-on là une preuve indéniable de la supériorité du système scolaire helvète?
Ce sont surtout les autres pays qui dégringolent
Pas si vite! «Quand on y regarde de plus près, on voit que le maintien du niveau des élèves en Suisse est moins à attribuer à une amélioration globale qu’à une chute globale des performances dans un grand nombre d’autres pays», avertit Barbara Fouquet-Chauprade, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Genève, spécialiste de la sociologie des politiques éducatives. Si on prend la compréhension de l’écrit par exemple, en l’espace de trois ans, le niveau s’est effondré aux Pays-bas (-26 points), en Allemagne (-18), en France (-19) ou encore en Norvège (-23). En Suisse en revanche, le niveau a stagné (-1).
C’est la même chose avec les mathématiques: le niveau a drastiquement baissé chez les jeunes Norvégiens (-33), Allemands (-25), Français (-21) ou Danois (-20). En Suisse, «le niveau de performance est certes élevé et bien au-dessus de la moyenne de l’OCDE, mais il a baissé sur la période considérée», note Barbara Fouquet-Chauprade. Cette chute est simplement moins importante (-7 points). Le résultat de la Confédération est donc moins une remontada qu’un maintien, tandis qu’à côté, les autres pays dégringolent.
Une bonne formation des enseignants
Pour l’expliquer, plusieurs hypothèses sont avancées, notamment le fait que les écoles ont été fermées moins longtemps pendant le Covid en Suisse que dans d’autres pays de l’OCDE. Barbara Fouquet-Chauprade se veut prudente: «Il semble y avoir une corrélation, ce qui n’est pas une causalité.» La spécialiste note aussi que, par rapport à leurs homologues étrangers, les chefs d’établissements helvètes ont moins déclaré que le manque d’enseignant nuisait à la scolarité des élèves. «Ils sont également beaucoup moins nombreux à déclarer que le niveau des enseignants n’est pas adéquat. C’est une bonne nouvelle, cela signifie que la formation des enseignants est de bon niveau et correspond en grande partie aux attentes sur le terrain.»
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a aucun problème de pénurie d’enseignants, ni que le métier ne souffre pas d’un manque d’attractivité, mais «ce sont des aspects qui contribuent certainement au bon niveau de performance des élèves suisses», résume Barbara Fouquet-Chauprade. Ces performances sont particulièrement bonnes en mathématiques et en science. Dans ces deux domaines, les jeunes Suisses obtiennent des scores plus largement supérieurs à la moyenne des pays de l’OCDE qu’en compréhension de l’écrit. «On peut imaginer que les mathématiques et les sciences sont fortement investis dans un système éducatif qui sélectionne et classe très tôt les élèves», avance Barbara Fouquet-Chauprade. «Mais ce n’est qu’un début d’explication et il faudra attendre la prochaine livraison des résultats PISA pour voir si cela se maintient.»
Les élèves défavorisés en queue de peloton
D’autres données, en revanche, interpellent la sociologue: celles liées à l’indice SESC, pour «statut économique, social et culturel». Cet indice permet de faire la distinction entre les élèves favorisés et les élèves défavorisés et le classement PISA détermine ensuite si ce statut économique, social et culturel compte dans les performances des élèves. En Suisse, «le pourcentage de performance en mathématiques expliqué par le SESC est de 20,8%, ce qui est très fort», souligne Barbara Fouquet-Chauprade.
«La moyenne de l’OCDE n’est qu’à 15,5%. Cela signifie qu’une partie importante des performances des élèves helvètes ne s’explique pas par leur mérite ou leur travail, mais par leur origine sociale.» De même, la différence de score entre élèves favorisés et défavorisés en mathématiques est de 117 points (contre 93 en moyenne dans l’OCDE) et «quand on regarde dans le détail, on voit que cela s’explique avant tout par la baisse de performance des élèves les plus défavorisés». Ces inégalités se retrouvent également entre les élèves autochtones et ceux issus de l’immigration, dont les résultats sont moins bons.
Un système inéquitable
La sociologue fait un lien direct avec l’organisation du système éducatif suisse. «Les élèves sont orientés très tôt, dès 12 ans, dans des filières séparées en fonction de leur niveau de performance. Or, comme l’ont montré les résultats de la recherche en science de l’éducation, plus on oriente tôt les élèves, plus on crée des inégalités sociales et ethnoraciales.» Les élèves les plus faibles seront orientés dans des classes avec d’autres du même niveau, ce qui est «fortement préjudiciable pour le développement de leurs compétences scolaires», poursuit notre experte.
Pour Barbara Fouquet-Chauprade, le classement PISA montre avant tout que l’école Suisse est donc inéquitable. «Le système global est performant. Mais cela tient surtout à une forte proportion de bons élèves, qui sont par ailleurs les mieux dotés socialement.