Les femmes et les hommes s'éloignent de plus en plus politiquement parlant. Un fossé entre les sexes s'étend à travers le monde – et divise notamment les jeunes en blocs de plus en plus irréconciliables.
Le sociologue Ganga Jey Aratnam mène depuis longtemps des recherches sur les différences entre hommes et femmes. Il déclare: «Globalement, le fossé entre les sexes est l'un des plus profonds de notre société. Dans le monde entier, les jeunes femmes sont de plus en plus à gauche, les jeunes hommes à droite. En Suisse aussi, cette évolution doit être reconnue d'urgence par la politique comme un problème fondamental.»
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Génération masculine et génération féminine
Pendant longtemps, les études d'opinion ont considéré que chaque nouvelle génération tirait politiquement dans la même direction – et changeait ainsi la société. Mais les jeunes d'aujourd'hui vont dans des directions opposées.
Alice Evans, de l'université américaine de Stanford, est l'une des principales chercheuses dans ce domaine. Elle a déclaré dans le «Financial Times» que la génération Z se compose en fait de deux générations: la génération masculine et la génération féminine.
Quelques exemples statistiques. Aux Etats-Unis, selon une enquête de l'institut de sondage Gallup, 40% des jeunes femmes entre 18 et 29 ans se considèrent de gauche, contre seulement 25% des hommes. Il y a dix ans encore, les valeurs des femmes étaient au niveau de celles des hommes. On observe la même chose en Allemagne, en Chine, en Pologne, en Grande-Bretagne et en Corée du Sud.
Voici la situation en Suisse
En Suisse, les données ne sont pas très complètes. Mais les statistiques disponibles montrent aussi une tendance claire dans ce sens: les jeunes femmes dérivent fortement vers la gauche, les jeunes hommes vers la droite. Il y a bien sûr toujours des «hommes de gauche et des femmes de droite», comme l'affirme Jey Aratnam.
Une analyse de l'institut de sondage Sotomo sur les comportements de vote depuis 1988 montre que les femmes ont tendance à voter plus que les hommes: Au cours des dix dernières années, un écart s'est creusé. La part des femmes de 18 à 29 ans qui se voient à gauche du Centre a grimpé de 35% à 52%, tandis que chez les hommes du même âge, la part à droite du Centre est passée de 29% à 43%. La «NZZ» a été la première à en faire état.
Un élément de division entre les sexes est le thème ... du genre. C'est la conclusion à laquelle parviennent les auteurs de l'institut de sondage Sotomo dans une étude de l'année 2021. Ils révèlent: «Les idées sur les identités de genre divergent beaucoup plus chez les jeunes que chez les personnes plus âgées.» Ces représentations influencent en partie le positionnement politique.
Nous nous sommes entretenus avec quatre jeunes qui représentent cette évolution. Pour Yasmina Mark, 20 ans, «être amie ou avoir une relation avec un homme de droite, je ne pense pas que je pourrais le faire. Les jeunes hommes de droite ne sont pas simplement en désaccord, mais ils se positionnent ainsi contre moi et ma vie.»
Diego Imhof, 20 ans également, se montre en effet critique vis-à-vis de la théorie du genre: «De nos jours, il faut introduire quelque chose de nouveau pour chaque personne qui se sent un peu différente. En fin de compte, cela rend les gens plus négatifs que positifs.» Qu'est-ce qui a changé par rapport aux générations précédentes?
«Les hommes sont moins éduqués»
Malgré l'égalité prescrite par la loi et les améliorations massives dans de nombreux domaines, les femmes sont toujours désavantagées, explique le sociologue Ganga Jey Aratnam. «Les hommes sont moins hautement éduqués, mais ils ont toujours du pouvoir politique et économique. Les femmes gagnent moins et continuent à assumer la majeure partie des tâches de soin et de ménage. Les mères y consacrent 44 heures, contre 24 heures seulement pour les pères. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient en colère.»
Les jeunes femmes ne sont aujourd'hui plus prêtes à accepter de telles inégalités – et défendent leur position sans compromis, suppose encore Ganga Jey Aratnam. Il donne l'exemple d'un atelier qu'il a mené avec des jeunes de 16 ans. A la question de savoir pourquoi les hommes meurent statistiquement plus tôt que les femmes, un garçon a répondu: parce que les hommes travaillent plus. «Les filles de la classe l'ont hué à l'unisson.»
Le mécontentement s'exprime par une tolérance de plus en plus faible envers les opinions différentes. «Il y a une forte tendance à l'étiquetage: un certain comportement des hommes est aujourd'hui rapidement considéré comme du mansplaining, du manterrupting, du bropropriating, du gaslighting ou tout simplement de la masculinité toxique. De telles attributions peuvent renforcer chez les hommes des réflexes de défense et des contre-réactions au lieu d'encourager leur réflexion et leur développement.»
«Les hommes peinent à suivre l'évolution»
L'agressivité augmente... des deux côtés. Les jeunes hommes se sentent sous pression, car les jeunes femmes ont beaucoup de succès au niveau scolaire et professionnel. En matière de taux de réussite au baccalauréat, les hommes sont de plus en plus à la traîne. En 2021, 49,2% de toutes les femmes en Suisse ont obtenu une maturité – chez les hommes, le taux était de 36,5%. Dans de nombreuses professions artisanales, le salaire stagne, alors que dans des professions plutôt dominées par les femmes, comme les soins, il augmente.
Selon Ganga Jey Aratnam, «les hommes deviennent le sexe faible. Les anciens privilèges disparaissent, de nouvelles attentes apparaissent, mais les droits sont à la traîne.» Un exemple: les pères doivent s'engager beaucoup plus, mais le congé de paternité est fixé par la loi à seulement deux semaines. En contrepartie, les hommes doivent aller à l'armée, ce qui n'est toujours pas le cas des femmes. En conséquence, les jeunes hommes considèrent de plus en plus comme des héros des personnages qui représentent une forme traditionnelle de virilité. Comme les problématiques Andrew Tate et Farid Bang.
Ganga Jey Aratnam résume: «Les femmes ont fait leur boulot et se sont battues pour beaucoup de choses, mais les hommes peinent à suivre cette évolution.» Il estime que c'est dangereux.
Plus d'hommes aux fourneaux
«L'égalité ne peut fonctionner que si les jeunes hommes suivent le mouvement. On en fait beaucoup trop peu en Suisse, déclare Ganga Jey Aratnam. Le travail avec les hommes en Suisse repose presque exclusivement sur le travail avec les agresseurs.» Selon lui, cela doit changer de toute urgence. «Il faut une commission fédérale pour les questions masculines, comme pour les femmes.»
Les conséquences de la dérive sont frappantes, selon le sociologue. Selon l'Office fédéral de la statistique, 62,4% des hommes entre 18 et 24 ans sont célibataires – beaucoup d'entre eux contre leur gré. La semaine dernière, l'Office fédéral de la statistique a annoncé que le taux de natalité en Suisse était tombé à son niveau le plus bas: 1,33 enfant par femme. Le fossé grandissant entre les sexes est-il la seule explication?
«Difficile à dire, rétorque Ganga Jey Aratnam. Dans un ménage composé d'un couple sans enfant, 63% des femmes travaillent à temps plein. Chez les femmes qui ont des enfants, cette proportion de temps plein est inférieure à 20% jusqu'à ce que les enfants soient adultes. Nous avons donc besoin de toute urgence d'une plus grande équité entre les sexes: plus d'hommes qui travaillent à temps partiel et s'occupent davantage de la maison et des fourneaux.»