On peut toujours taper la discute avec son chef kebabier, enfin presque. Je viens d'écrire un article sur les analyses en labo du magazine conso alémanique «K-Tipp», qui épingle notamment six kebabs romands pour la trop grande quantité de bactéries dans leurs sandwichs. À peine fini, mon boss Antoine Hürlimann a la bonne idée de m'envoyer manger dans l'un d'eux. «Probablement l'un des pires de la capitale vaudoise», me lance-t-il dans un gloussement sadique. Je demanderai une augmentation plus tard. En route pour l'«Istanbul Kebab» du Petit-Chêne, à Lausanne.
Sur le chemin, je me répète ce que l'équivalent de «Bon à savoir» outre-Sarine a repéré: un trop-plein de levures dans la recette du resto, qui est maintenant dans mon champ de vision. «Cela signifie qu'au moins une partie des ingrédients était avariée», précise le journal alémanique. Dois-je craindre pour mon ventre?
Crade comme un kebab
Petite confidence. Ce n'est pas la première fois que je mange là-bas, juste en face des Cinémas Pathé. Mais aujourd'hui, l'ambiance n'y est pas. Je commande un mini-kebab. Pas de sauce piquante, tous les accompagnements (oui, même les oignons) et de la sauce cocktail. Ça tombe bien, le sandwich type choisit par les enquêteurs de «K-Tipp» correspond à merveille à mes petites habitudes.
Au goût, pas de surprise. Il ressemble à tous les snacks du genre de Suisse romande. Il n'est clairement pas dans mon top personnel, mais ça passe. À l'aspect, c'est bof. Les légumes manquent de couleurs et la viande suinte un peu. La vitrine et les ustensiles ne sont pas plus sales que certains trucs que je laisse traîner dans mon appart. En clair: c'est crade comme un kebab. On y va rarement pour vivre une expérience 5 étoiles. Cela ne semble pas déranger les clients qui ont choisi l'«Istanbul» pour midi, ignorant sans doute tout de la tempête actuellement traversée par l'enseigne.
Pas de commentaire
Une fois mon repas terminé et l'addition réglée, je me présente et annonce mon métier. Le contact est assez froid. Le commerçant dressé face à moi ne dira rien à un journaliste. Il se dit employé et ne veut pas commenter une situation pesante. Cela fait deux semaines que l'article de «K-Tipp» est sorti. Je dois être le troisième à les contacter entre jeudi et vendredi.
Sur le comptoir traine un «20 minutes». J'apprends au maître kebabier que l'édition du jour contient un article dans lequel un expert nuance les résultats de «K-Tipp» et la fiabilité de la démarche de nos confrères à l'origine des analyses explosives. Ça le détend un peu, reste qu'il ne commentera pas. Le coup de massue est déjà passé, pour la réputation de l'établissement. C'est l'incompréhension qui prime. Pourquoi ce «Kebab Gate» est-il tombé sur son snack-bar, plutôt que sur un autre?
La faute aux journalistes?
Quant au fait de nommer les établissements incriminés, c'est une démarche journalistique qui semble gêner profondément mon interlocuteur. Je lui avance l'argument de l'intérêt public. «K-Tipp» a voulu défendre les consommateurs, en choisissant des entreprises et en récoltant ses échantillons de manière anonyme. On peut critiquer la méthode, mais comment faire autrement pour être sûr d'obtenir un résultat non bidouillé?
L'«Istanbul Kebab» fera mieux la prochaine fois et assure respecter toutes les normes d'hygiène. Le service vaudois d'inspection des denrées alimentaires a l'air de passer régulièrement dans les kebabs, sans trouver grand-chose à redire la plupart du temps, du moins selon le patron d'un des six établissements romands épinglés, cité dans le quotidien gratuit de Tamedia. Du côté de mon ventre, pour l'instant rien à signaler. Mais bon, j'ai l'estomac solide.