À Naters (VS), le pharmacien Alfred Chappuis doit décevoir beaucoup de ses clients ces dernières semaines. Sur quatre ordonnances sur cinq que les patients lui présentent, au moins un des médicaments demandés n’est pas disponible. «Et il s’agit aussi de produits très importants, explique Alfred Chappuis. Des groupes entiers de substances actives ne peuvent parfois pas être livrés!» Son équipe et lui doivent alors se creuser la tête pour trouver des alternatives appropriées.
Cette pénurie de médicaments ne fait pas seulement rage en Valais. Elle est un problème majeur dans toute la Suisse. Pour les patients, mais aussi pour les médecins et les pharmaciens, qui sont démunis face à la demande. Environ 1000 médicaments sont actuellement concernés par des ruptures de stock. Des produits très spécifiques, mais aussi des traitements fréquemment prescrits, y compris ceux destinés aux enfants. Un exemple? Le sirop d’ibuprofène antipyrétique, spécialement adapté aux tout-petits, qui ne peuvent pas prendre de comprimés.
Il fait des recherches et bricole
Ce sirop est actuellement sur liste rouge partout. Le pharmacien Alfred Chappuis s’est donc rendu lui-même au laboratoire. Il a cherché la recette du sirop, trouvé les substances actives et travaillé sur le goût. Jusqu’à ce qu’il obtienne un sirop d’ibuprofène maison efficace, et qui plaît à sa fille.
Sur la pénurie de médicaments en Suisse
Parallèlement, il propose d’autres médicaments de sa propre production. Il faut rappeler que les pharmaciens fabriquaient jadis eux-mêmes des médicaments.
Mais aujourd’hui, sauf pour des pastilles pour les bronches et quelques autres produits, ils ne sont plus très nombreux à le faire. Les difficultés actuelles d’approvisionnement pourraient inciter à un nouveau changement, analyse Alfred Chappuis. Et ce, même si ce n’est pas particulièrement intéressant financièrement. La loi autorise en effet les pharmacies à fabriquer elles-mêmes au maximum 1000 unités d’un médicament par an. Et à ne les vendre qu’à leur propre clientèle.
Mais qui paie?
Lukas Korner, qui exploite une pharmacie avec sa femme dans le canton d’Argovie, peut désormais lui aussi fournir à ses clients des médicaments faits maison. Celui qui est aussi président de l’association des pharmaciens argoviens avait déjà mis en service un laboratoire en 2019. «À l’époque, tout le monde nous disait que nous étions fous», glisse-t-il. Car ce n’est vraiment pas rentable fabriquer soi-même ces substances, souligne-t-il également. «Mais maintenant, tout le monde est incroyablement soulagé d’avoir cette solution sous la main!»
Toutefois, la caisse d’assurance maladie n’est pas toujours prête à payer pour le médicament fait maison. La facturation est une grande pomme de discorde entre les pharmacies, la Confédération et les assureurs. Depuis 1996, les tarifs correspondants n’ont pas été adaptés et, selon les caisses, les frais ne sont remboursés que dans certains cas.
Berne promet une amélioration
«Pour fabriquer le sirop Algifor, je dois broyer des comprimés d’Algifor, les tamiser et en faire un sirop, illustre le pharmacien. Malheureusement, prendre simplement la substance active pure et la transformer en sirop n’est pas possible.» En cause: certains assureurs, qui ne remboursent pas lorsque le médicament ne remplit par certaines conditions.
Un problème que le vice-président de la Société suisse des pharmaciens Pharmasuisse connaît bien. «C’est insensé», charge Enea Martinelli. Certes, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a précisé aux caisses, dans une lettre envoyée au début de l’année, dans quelles circonstances elles devaient payer les médicaments de famille. Mais du point de vue des pharmacies, la situation reste absolument insatisfaisante, assène-t-il.
Ce mercredi, une task force nouvellement créée sur le thème des pénuries de médicaments s’est réunie pour la première fois sous l’égide de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays. «Il faut que les choses bougent, tonne Enea Martinelli. Cela suffit!»