Ça faisait longtemps que mes narines ne s'étaient pas retroussées de la sorte en ouvrant la porte de ma chambre d'hôtel. La dernière fois, c'était dans le sud de l'Inde. Mais à l'époque où j'étais un backpacker très fauché, qui dépensait rarement plus de l'équivalent de 4 francs pour un lit et une «salle de bains» (même pour l'Inde, c'est pas cher).
Campagne vaudoise, ce 31 janvier. À mon arrivée vers 20h, pas de réceptionniste. Occupé en cuisine et au service, le patron m'amène une clé et m'ouvre la porte de mon petit cocon pour la nuit.
Odeur vaguement familière. Il faudrait demander à Patrick Süskind comment il décrirait ce mélange d'humidité, de moisi et de renfermé. Ça pue la vieille chaussure de foot.
Ventilation recouverte de poussière collante
Ce parfum vient de la salle de bains. La ventilation est recouverte d'une solide et sordide couche de poussière collante. Le rideau de douche est tacheté de brun. Le reste paraît plus ou moins propre. À part le fond du verre à dents, encore maculé de traces de dentifrice. Bienvenue dans le pire hôtel de Suisse romande, avec sa note de 3,2 sur 5 sur Google.
Enfin, le pire, selon les critères précis de Blick. Ceux-ci se basent sur les notes du moteur de recherche étasunien. Avec l'aide de notre rédaction zurichoise, nous avons classé tous les hôtels qui y sont répertoriés (et libres pour la nuit du 1er au 2 décembre 2023).
Et puis, nous avons ensuite exclu les maisons ornées de 4 étoiles et plus. Mais aussi ceux qui ont récolté moins de 50 commentaires, les appartements et les centres de vacances. Trois ont ainsi été écartés.
L'objectif ici n'est pas de pointer l'un ou l'autre établissement du doigt en les nommant. Le but est plutôt de répondre à cette question: peut-on vraiment faire confiance aux commentaires et aux notes qu'on trouve sur internet?
«Établissement à fuir!!!»
Les draps sont propres. Heureusement, à près de 120 francs la nuit... Mon nez s'est habitué à son nouvel environnement hostile. On ne peut pas dire que j'aie très faim pour autant. Pour me motiver à marcher les quelques mètres qui me séparent du repas, je vais faire un petit tour dans la section commentaires sur la page Google de l'hébergement.
Les plus mauvais — qui sont en bonne place entre quelques mots élogieux — sont gratinés. «Draps troués, chambre sale. [...] On me raccroche au nez. Établissement à fuir!!!» Un texte publié «il y a une semaine». Comme celui-ci: «Nul. Nul, nul. Accueil médiocre. Patron hautain. [...] Je ne recommande pas du tout.» Sur Booking.com, une cliente parle de «salle de bains qui sent les égouts», le 29 juillet 2023.
Vous en voulez un autre, vieux d'un an? «Chambre sale, accueil froid, moisissure sur un mur, toile d'araignée à côté des prises, [...]» Et un dernier pour la route, également publié «il y a un an»: «Lasagnes caoutchouteuses. [...] Merci pour le service et le sourire de la jeune serveuse.»
L'heure du souper
Vous avez deviné ce que je m'apprête à commander pour accompagner mon verre de vin? Elles sont effectivement caoutchouteuses. À la carte, elles sont présentées comme faites maison. Le fromage fait des fils. Les pâtes se brisent en mille morceaux à chaque coup de fourchette. Le tout est huileux, baigne dans une sauce bolognaise trop liquide. Au bout de mon WhatsApp, mon chef Antoine Hürlimann, fin gourmet, s'interroge: «C'est quoi cette chose?» Philippe Etchebest! Au secours!
Avant le dessert, j'en profite pour signaler au boss des lieux — qui ne sait pas que je suis journaliste — le désagréable fumet enrobant mes pénates. Sa réponse est cinglante: «C'est possible. Mais on est toujours complet, donc c'est nettoyé tout le temps. Je préfère que vous me disiez qu'il y a un peu d'humidité que de la poussière partout, vous voyez? Je ne peux rien faire.» La tarte Tatin, aux airs industriels, est plutôt bonne.
Quelle nuit!
À la réception, beaucoup de clés suspendues: le taux d'occupation n'est pas si élevé. Retour dans ma piaule. Pas de miracle, les effluves me sautent à la gorge. Je suis au rez-de-chaussée, je ne peux donc pas dormir la fenêtre ouverte. J'ai peur pour mes poumons récemment devenus non-fumeurs.
J'entends un homme parler en italien de l'autre côté du mur. On entend tout. Surtout quand ce qui semble être une famille nombreuse débarque dans le long couloir un peu glauque vers minuit.
Les rideaux n'occultent pas grand-chose. C'est dommage: j'aime beaucoup l'esthétique acidulée du réalisateur Nicolas Refn («Drive»), mais la déco lumineuse est quand même très puissante.
Déjeuner mirage
L'aube finit par arriver. Dans le miroir, mes cernes me souhaitent une bonne journée. Il est 6h30. Après la douche, direction le bistrot pour le petit-déjeuner. Problème: les lumières sont éteintes, les portes closes. Le breakfast n'est visiblement pas servi de 6h à 10h comme indiqué sur le bureau de la chambre.
Peut-être plus tard? Le lever du soleil est fabuleux. J'attends sur le parking. Une femme sort du bâtiment et paraît se diriger vers la partie bistrot. Elle ne parle ni français, ni anglais, ni allemand, ni espagnol (j'ai tout essayé, oui). Et elle n'est pas là pour préparer le petit-déjeuner. Peu après 8h, j'abandonne: direction l'arrêt du car postal.
Le patron nie en bloc
Dans mon sac, peu d'heures de sommeil, un petit creux, une inquiétude pour mes pauvres poumons, mais surtout beaucoup de questions. Comment en est-on arrivé là? Pourquoi la direction ne prend-elle pas les commentaires des internautes en compte? Pourquoi vendre un petit-déjeuner inexistant? La direction connait-elle des difficultés qui pourraient expliquer la présente situation?
Je l'ai contactée trois fois par e-mail depuis début février. Sans réponse, j'ai finalement réussi à joindre le responsable par téléphone ce 21 mars. D'entrée, il prétend que les mauvais commentaires des internautes sont imputables à l'ancienne direction, et donc vieux de trois ans. Ce qui est inexact: comme nous l'avons vu, un certain nombre ont moins d'un an.
Au cours de la conversation, le boss nie rencontrer des difficultés et remet ma parole en cause: «Je ne pense pas», me répond-il au moment où je lui dis avoir passé la nuit du 31 janvier 2024 chez lui, comme le démontrent les reçus en ma possession. Pour lui, ce n'est pas possible que j'aie pu constater de tels problèmes après les «rénovations d'il y a un an». Or, c'est bien le cas. Une chose est sûre: je ne risque pas de revenir de sitôt.