Dans un coin de la pièce, un drapeau de l’Unia; sur le bureau, un casque de chantier avec le nom du syndicat; au mur, un tableau qui montre des femmes combattantes. Pas de doute, il s’agit bien du bureau de Vania Alleva, présidente d’Unia. Elle accueille Blick au siège bernois de l’institution. Tous les indices le montrent: ici, on se bat pour la justice sociale et de meilleures conditions de travail.
Si l’on en croit une étude commandée par l’Union patronale suisse, il n’y a plus guère de différence de salaire entre les femmes et les hommes. Elles ne gagneraient «que» 3,3% de moins.
Exactement, il n’y a plus de discrimination salariale, et on peut dire aussi que la Terre est plate! Désolée, mais c’est une blague. Nous nous en tenons aux chiffres officiels de la Confédération: le revenu des femmes est inférieur de 19,5% à celui des hommes. Plus de 45% de la différence de salaire ne s’explique pas. Et si les femmes ont une retraite inférieure d’un tiers, c’est parce qu’elles se taillent la part du lion dans le travail domestique, qui n’a pas de prix.
Mais…
… il n’y a pas de «mais»! Les femmes fournissent 5,5 milliards d’heures de travail domestique par an. Elles perdent 315 milliards de francs. A cela s’ajoute le fait que l’écart salarial se creuse à nouveau depuis 2016. C’est la réalité. Les bas et moyens revenus souffrent particulièrement de la perte de pouvoir d’achat. Et les femmes y sont représentées de manière disproportionnée. De plus, il existe une discrimination salariale structurelle dans les professions féminines: plus la proportion d’hommes dans une branche est faible, plus le salaire horaire est bas. Cela est prouvé statistiquement.
Vous rejetez donc entièrement cette étude.
Elle n’est pas représentative. Elle se base sur des déclarations non vérifiées d’entreprises de plus de 100 employés. De plus, l’étude ne prend même pas en compte 10% de ce 1% d’entreprises suisses. A ma connaissance, la plupart des analyses ne prennent jamais en compte les représentations du personnel et les syndicats. Malgré cela, on arrive à une différence salariale inexplicable de 8,3%. On en déduit à la hâte 5 points de pourcentage de tolérance pour n’afficher plus que 3,3% de différence entre les hommes et les femmes. Vous trouvez cela sérieux?
Selon vous, ce ne l’est pas.
Ces résultats ne peuvent pas être perçus comme une référence. Ce qui est bien plus intéressant, c’est l’agenda caché des employeurs derrière ces chiffres: ils permettent de prétendre que l’égalité est tout simplement atteinte. Et que les femmes devraient travailler davantage pour obtenir un meilleur salaire.
Vous parlez d’un «agenda caché»? C’est une accusation grave.
C’est de la politique patronale. Lors de la grève des femmes nationales de 2019, nous étions un demi-million dans les rues de toute la Suisse. Les employeurs et les partis de droite ont dû s’en rendre compte. C’est pourquoi ils essaient depuis des mois de minimiser nos revendications. Par exemple, les employeurs dénigrent constamment les temps partiels: soit les femmes sont à la disposition des entreprises à 120%, soit elles doivent retourner à leurs fourneaux. Il serait plus judicieux de contribuer à améliorer la garde des enfants de manière à ce qu’elle soit abordable et réellement utile aux familles.
Si les femmes ne le veulent pas travailler davantage, leur salaire à la fin du mois sera moins important, tout comme leur retraite. Vous devez le reconnaître, n’est-ce pas?
Vous reprenez le discours des employeurs selon lequel les femmes portent la responsabilité des inégalités! L’union patronale ignore tout le travail que les femmes font en dehors du cadre professionnel pour lequel elles reçoivent encore moins de revenus. Les employeurs veulent manifestement minimiser l’important écart de revenu entre les hommes et les femmes.
Pourquoi les employeurs feraient-ils cela?
Parce qu’ils ne veulent pas payer des salaires équitables.
Vous ne pouvez pas être sérieuse!
Pourquoi pensez-vous que nous avons encore cette énorme différence de salaire entre les femmes et les hommes? Cette différence est en moyenne de 1500 francs… par mois. Et cela s’accumule!
Face à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, les entreprises ne peuvent plus se permettre de payer des salaires injustes.
Bien sûr, ces entreprises se tirent une balle dans le pied. Mais les employeurs bloquent tout progrès. C’est pourquoi nous, les femmes, devons toujours nous défendre. Ce n’est qu’avec la pression dans la rue et dans les entreprises que l’égalité, les salaires et les rentes progresseront. C’est pourquoi la grève des femmes est si importante.
Que faut-il changer pour que la situation des femmes s’améliore?
Outre proposer des gardes d’enfants abordables, nous avons surtout besoin d’une réduction du temps de travail. Cela permettrait de répartir le travail domestique plus équitablement sur plusieurs épaules. Dans le secteur horloger, où des négociations sur les Conventions Collectives de Travail (CCT) sont en cours, l’une des revendications est une semaine de 36 heures. C’est dans cette direction qu’il faudrait aller. Et des salaires minimums décents sont nécessaires: 4500 francs pour les personnes non qualifiées et 5000 francs pour les personnes ayant fait un apprentissage. La revalorisation des branches dites féminines est urgente.
Pensez-vous vraiment que les entreprises du Jura et du Tessin puissent se permettre de verser de tels salaires minimaux?
Pensez-vous que le yogourt, par exemple, est moins cher à la Migros de Delémont ou à la Coop de Lugano?
Non, mais les repas à l’extérieur et les loyers le sont.
Nous ne parlons pas de salaires démesurés, mais de salaires minimaux et du fait que ceux-ci doivent être ancrés durablement dans les conventions collectives de travail, même dans les secteurs dits «féminins».
Vous parlez de durabilité: c’est également de ça qu’il faut pour les accords bilatéraux avec l’UE. Pourquoi les syndicats sont-ils complètement opposés à un accord-cadre?
Ce n’est pas vrai! Nous sommes pour une Suisse ouverte et sociale avec une forte protection des salaires. Et contre le dumping salarial, tant en Suisse qu’en Europe. C’est pourquoi nous avons dû mettre un stop à l’accord-cadre raté d’Ignazio Cassis. Il voulait sacrifier la protection salariale suisse. Cela aurait coûté cher à tous les travailleurs et travailleuses. Depuis, nous nous engageons dans les discussions avec le Conseil fédéral pour que cela ne se reproduise pas lors d’un prochain accord-cadre. Et nous avons fait des propositions concrètes. Jusqu’à présent, les employeurs qui s’engagent activement en faveur d’un nouvel accord-cadre n’offrent pas de solutions qui garantissent les salaires des travailleurs. C’est un désastre.
À l’occasion de la grève des femmes, vous exigez davantage de CCT. Vous voulez «du respect, plus de salaire, plus de temps». Le respect, ça passe aussi par la prévention du harcèlement sexuel.
Il faut une tolérance zéro. Les chiffres du harcèlement sexuel sur le lieu de travail sont effrayants. En particulier dans l’hôtellerie et la restauration. La jeunesse d’Unia a mené une enquête auprès de plus de 800 apprentis de différentes branches. Un tiers des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà été harcelées sexuellement sur leur lieu de travail. Il est clair que cela a des répercussions sur toute une vie. C’est pourquoi la grève des femmes est si importante!
C’est donc pour toutes ces revendications que vous descendez dans la rue le 14 juin?
Oui, avec des dizaines de milliers d’autres femmes. Et je ne peux qu’encourager d’autres à nous rejoindre: venez, vous aussi, participez! Nous donnerons un signal clair. Nous serons grandes et puissantes. Plus de 20 manifestations sont prévues dans toute la Suisse. De nombreuses personnes porteront la grève des femmes aussi dans les entreprises. Et même la météo nous sera favorable ce mercredi.