La crise menace
Les crèches sont à bout de souffle à cause du Covid

Les crèches du pays atteignent leurs limites à cause d'Omicron. Mais la pandémie aggrave surtout des problèmes qui existent depuis longtemps. Décryptage.
Publié: 23.01.2022 à 15:43 heures
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Dernière mise à jour: 02.02.2022 à 15:54 heures
Les crèches sont à bout de souffle à cause de la pandémie.
Photo: DUKAS
Dana Liechti

Anne Schmidt* est fatiguée. Pendant des décennies, elle a travaillé comme éducatrice de l’enfance. Avec passion. Mais aussi en se fatigant. Dans ce secteur, les conditions de travail sont dures: beaucoup de responsabilités, un salaire bas, peu de reconnaissance et jamais assez de personnel.

Une enquête menée récemment par le Syndicat suisse des services publics (SSP) auprès des employés de crèches a révélé que près de 70% des personnes interrogées trouvaient que les groupes d’enfants qui leur étaient confiés étaient trop grands. Près de 60% ont indiqué devoir travailler dans des crèches en sous-effectif. Conséquences? Près de 80% des sondés se sentent stressés au travail et près de 60% ont déjà été malgré eux désagréables avec les enfants à cause de mauvaises conditions de travail.

Une employée sur deux souffre de troubles du sommeil

La santé des personnes qui s’occupent des enfants, en majorité des femmes, souffre également de la précarité de ces conditions qui, selon le SSP, est surtout due au «sous-financement chronique de l’accueil extra-familial des enfants».

Les maux de tête (64%) et l’épuisement émotionnel (63%) sont fréquents. Une employée de crèche sur deux se plaint en outre de troubles du sommeil et de douleurs au niveau des épaules. «Il est aussi inquiétant de constater qu’un quart des personnes interrogées suivent un traitement médical ou thérapeutique en rapport avec leur travail», ajoute Natascha Wey, secrétaire générale adjointe du SSP. Environ 40% d’entre elles prévoient même de changer de profession en raison des contraintes liées à la santé.

Natascha Wey, secrétaire générale adjointe du Syndicat suisse des services publics.
Photo: Merlin Photography Ltd.

La pandémie, défi supplémentaire

La pandémie a d'autant plus accru la pression sur le personnel des crèches. «Le travail est devenu plus complexe, alors que les effectifs sont restés les mêmes», poursuit la secrétaire générale. C’est ce que confirme Lisa Plüss, directrice de la fondation des crèches de Berne, dont font partie sept crèches de cette région. «La prise en charge des tout-petits avec un masque, les directives en changement constant, mais surtout les nombreuses absences et l’improvisation permanente ont beaucoup fatigué tout le monde. On sent bien que le travail dans ces conditions épuise les collaborateurs.»

En Suisse romande, le même problème sévit. La pression exercée par la pandémie sur les crèches a poussé de nombreuses structures, pourtant déjà trop peu nombreuses, à fermer leurs portes. Dans le canton de Vaud, par exemple, au moins six structures sur 803 lieux d'accueil collectifs ont annoncé leur fermeture, rapporte la RTS.

Risque de contagion

A cela s’ajoute «le risque d’être contaminé au travail, qui a toujours été plus élevé pour le personnel des crèches», poursuit Lisa Plüss. Les enfants en bas âge ne peuvent pas porter de masque et il n’est pas possible de se tenir à distance. «Il faut beaucoup d’énergie et de persévérance pour passer des journées aussi insouciantes que possible avec les enfants malgré le risque de contagion qui guette.»

Trotzphase, littéralement «Phase d’opposition» en français, est le nom d’un groupe d’assistants et d'assistantes maternels basé à Zurich qui s’engage pour de meilleures conditions de travail dans la branche. Il rapporte que de nombreux employés se sentent trop peu protégés. «Il arrive régulièrement que des enfants, qui sont probablement positifs, soient envoyés à la crèche. C’est très stressant d’être quotidiennement à la merci de cela.» De plus, à ce jour, aucune donnée n’est collectée sur les infections dans les crèches. «Une fois de plus, nous sommes oubliés», résume le groupe.

Le groupe Trotzphase lors d'une manifestation à Zurich le 26 septembre 2020.
Photo: Siggi Bucher

Absence massive de personnel

Omicron est en train de pousser les crèches dans leurs retranchements. Actuellement, le personnel manque perpétuellement et des remplacements sont rarement possibles. «Le marché du travail est asséché», déplore Markus Marti, directeur d’une crèche à Zurich. «Et il n’existe pas chez nous de pool de remplaçants comme dans les écoles. Maintenir un bon encadrement quand quelqu’un manque ne fonctionne guère en raison de la clé de répartition des postes déjà calculée au plus juste.»

Selon Trotzphase, toute la charge de travail repose sur peu de personnes: «Nous devons nous remplacer sur nos jours de repos, un temps de repos dont nous avons pourtant absolument besoin. Nous faisons moins de pauses, nous restons plus longtemps. Beaucoup sont au bord du surmenage.»

Enfin d’importance systémique

Pour Priska Gehring-Hertli, directrice de deux crèches à Zurich, la pandémie montre également les limites du système qui a été mis en place. «J’ai ouvert ma première crèche il y a 25 ans. Je ne me serais jamais attendue à ce qui s’abat sur nous depuis mars 2020, déplore-t-elle. Mon équipe s’investit énormément.»

Pour Priska Gehring-Hertli, directrice de deux crèches à Zurich, la pandémie a montré les limites du système.
Photo: Siggi Bucher

Toujours est-il que la pandémie a mis l’accent sur la valeur de l’accueil préscolaire des enfants, nuance-t-elle: «Nous sommes enfin officiellement considérés comme importants pour le système. Il serait maintenant aussi important que l’éducation et l’accueil de la petite enfance soient durablement mieux soutenus par la politique, afin que nous n’ayons pas de crise de l’accueil après la crise du coronavirus».

Et cette crise se profile déjà. «Ça secoue dans de nombreuses crèches», confirme Priska Gehring-Hertli. Et le groupe Trotzphase constate que si le taux de fluctuation dans la branche a toujours été élevé, il y a actuellement un grand nombre de travailleurs qui quittent le secteur.

C’est notamment le cas d’Anne Schmidt. Elle a décidé de quitter son travail dès que le plus gros de la pandémie sera passé. Non pas parce qu’elle n’aime pas son métier, mais parce qu’elle n’a plus la force de le pratiquer.

*Prénom d'emprunt

(Adaptation par Jocelyn Daloz et Lauriane Pipoz)

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