Le variant Omicron offre un avant-goût de ce qui deviendra un énorme problème pour l’économie suisse dans les années à venir: le manque de personnel! Celui qui sévit actuellement, lié à la pandémie, n'est que le début du phénomène.
Le réservoir de main-d’œuvre qualifiée risque de se réduire en Suisse. Celle-ci correspond aux travailleurs qui disposent d’un diplôme professionnel ou d’un diplôme universitaire. Dans notre pays, cela représente plus de 80% de la main-d’oeuvre totale.
Encore plus alarmant, un fossé se creuse entre la demande de l’économie, qui crée sans cesse de nouveaux postes, et l’offre toujours plus restreinte sur le marché du travail. Cela signifie que la Suisse risque d’être victime de son propre succès économique.
Une menace pour la prospérité
«L’impact sur le marché du travail sera énorme», affirme Tino Senoner, directeur de Dynajobs. Cet expert du marché du travail a calculé l’ampleur de la pénurie pour le compte de l’association «Employés Suisse». Blick a pris connaissance des chiffres en exclusivité.
D’ici 2025, il manquera en Suisse près de 365’000 spécialistes. Comment le sait-on? C'est plutôt clair, selon les spécialistes: le nombre de personnes qui partent à la retraite est supérieur à celui des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Cette tendance se poursuit et ne va pas s'inverser. En 2035, il manquera même plus de 1,2 million de travailleurs qualifiés.
C’est une situation radicale qui menace la prospérité de la Suisse: «Ce manque de personnel coûtera à l’économie. Rien qu’en 2025, cela pourrait faire perdre près de 60 milliards de francs de valeur ajoutée», craint Tino Senoner. Cela signifie qu’avec plus de personnel, l’économie suisse pourrait connaître une croissance plus forte.
«Si l'on manque de personnel qualifié, moins de temps est disponible pour mettre en place des idées et des nouveaux produits. La capacité d’innovation et la compétitivité de la Suisse en pâtissent», explique Alexander Bélaz, président d’Employés Suisse.
Dans une Suisse pauvre en matières premières, la main-d’œuvre bien formée fait normalement partie des principales ressources de l’économie. «Cette pénurie de ressources est l’un des risques commerciaux les plus importants dans l’industrie et constitue à moyen terme un danger pour le site d’innovation suisse», ajoute Alexander Bélaz.
Les mesures prises jusqu’à présent ne sont pas efficaces
La situation est si grave que, pour une fois, les partenaires sociaux ne contredisent pas le constat. «Cette pénurie, qui existe déjà et qui s’accentue de plus en plus, est incisive pour l’économie suisse», déclare Simon Wey, économiste en chef de l’Union patronale suisse. «Si la main-d’œuvre vient à manquer, la place économique suisse perdra un avantage concurrentiel important pour créer de la richesse.»
Le grand problème est que les mesures prises jusqu’à présent pour lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée – comme l'engagement d'immigrés et l'augmentation de la productivité – ne fonctionnent plus. Car la Suisse n’est pas seule à souffrir de cette pénurie, la main-d’œuvre qualifiée se fait rare à l’échelle mondiale.
«Dans l’ensemble de l’espace germanophone, il manquera près de deux millions de spécialistes d’ici quatre ans», déclare Tino Senoner. Et même si les travailleurs en Suisse deviennent de plus en plus efficaces et productifs, ils ne pourront pas combler le manque de nouveaux collègues.
Recherche de nouvelles solutions
Tino Senoner a identifié cinq secteurs clés qui représentent environ la moitié des spécialistes recherchés. L’informatique en fait partie: «Chaque entreprise va devoir automatiser et numériser, ce qui crée une énorme demande de personnes ayant des connaissances informatiques approfondies», explique-t-il. Mais le manque se fait également de plus en plus sentir dans le secteur de la santé ou dans l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux.
Même le commerce de détail et la logistique recherchent désespérément des acheteurs expérimentés, des chauffeurs ou des experts en gestion moderne des stocks.
Il faut trouver de nouvelles solutions, ce qui nécessite un changement de mentalité. «Les entreprises doivent désormais investir dans la formation continue de leurs propres employés. Le développement et la reconversion des travailleurs âgés en font partie», poursuit Alexander Bélaz. «Du point de vue des employeurs, la priorité est d’exploiter le potentiel de main-d’œuvre indigène», ajoute quant à lui Simon Wey. Il pense aussi aux seniors: «L’Union patronale suisse veut encourager la collaboration entre les générations et créer des incitations plus fortes à travailler au-delà de l’âge de la retraite». En outre, l’offre de crèches et de structures d’accueil extra-familiale doit être développée, soutenue par une volonté politique. La Suisse doit enfin rattraper son retard quant aux aménagements du quotidien qui permettent aux femmes de travailler.
(Adaptation par Thibault Gilgen)