Organiser l'Eurovision? Personne ne sait mieux que Karin Karlsson ce que cela signifie, elle qui l'a déjà fait deux fois. En tant que Managing Director, elle était responsable de l'édition de cette année à Malmö, ainsi que de l'édition 2013 dans la ville suédoise.
En 2025, l'événement musical s'installera en Suisse. La ville hôte sera désignée fin août. L'occasion de se renseigner sur ce qui nous attend avec Karin Karlsson. Interview.
Karin Karlsson, en Suisse, deux villes, Bâle et Genève, sont encore en lice pour accueillir l'ESC. Vous ont-elles demandé des conseils?
En effet, Genève m'a contactée pour me demander mon expérience.
Et alors, quels conseils avez-vous donné?
Pour remporter l'appel d'offres, outre les aspects financiers, il est important de présenter une vision, et pas seulement de simples idées. Pourquoi l'ESC doit-il avoir lieu précisément dans cette ville? De quoi doit-on se souvenir après l'événement? Ensuite, un point décisif est la négociation avec la chaîne de télévision. Les villes doivent essayer de mettre en place quelque chose qui peut les séduire. Il y a quelques obligations pour le lieu d'accueil, mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas négocier...
Comment parvenir à être sélectionné?
Il ne faut pas se précipiter! Certes, il reste peu de temps avant l'événement, mais il faut constituer une équipe en qui vous pouvez avoir confiance et dans laquelle vous pouvez investir du temps pour que cela porte ses fruits plus tard. La première fois que j'ai organisé l'Eurovision, beaucoup de choses n'étaient pas claires, tant pour nous que pour la chaîne. Lorsque nous avons obtenu le contrat en 2013, la Suède n'avait pas organisé l'ESC depuis plus de 20 ans. Il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre quelle était notre mission.
A Genève, il y a une immense salle, à Bâle une plus petite, comparable à celle de Malmö. Dans quelle mesure cela joue-t-il un rôle dans la décision?
Cela dépend du nombre de billets que l'on veut vendre, c'est-à-dire du nombre de personnes qui peuvent se permettre de se rendre en Suisse pour l'ESC. Des gens de 80 pays différents sont venus à Malmö. Mais je pense que la ville doit surtout réussir à créer un «monde de l'Eurovision». Cela signifie des courts trajets entre les lieux de la manifestation, l'aéroport et les hôtels. Il faut que toute la fête soit mise en place dans une seule bulle. Pour cela, une salle plus petite n'est pas un désavantage.
Quel sentiment cela procure-t-il de savoir que dans quelques mois, des millions de personnes verront ma ville mise en avant?
J'étais très fière et heureuse que Malmö soit à nouveau sélectionnée. Après le premier ESC, j'étais vraiment fatiguée. Mais plus tard, j'ai réalisé à quel point c'était aussi un immense privilège.
Pourquoi?
J'aime le public et j'aime le concours. Malmö est une grande ville avec beaucoup de belles valeurs. Grâce à l'Eurovision, nous avons pu placer Malmö sur la carte du monde pendant un moment. Les gens qui sont venus dans la ville en 2013 étaient si gentils. Je voulais faire encore mieux la deuxième fois. Mais beaucoup de choses se sont révélées différentes de ce que j'attendais.
A savoir?
Toutes les questions liées à la sécurité étaient vraiment compliquées. Lorsque nous avons remporté l'ESC, nous ne savions pas que le niveau de terrorisme en Suède allait être relevé et il n'y avait pas encore de guerre entre le Hamas et Israël. Cela a entraîné de nombreux défis.
Pouvez-vous en donner un exemple?
Lors de mon premier ESC, nous pouvions installer un village Eurovision sur n'importe quelle place et répartir les événements dans toute la ville. L'an dernier, nous avons dû planifier soigneusement à l'avance et déplacer les événements à l'intérieur afin d'avoir plus de contrôle. J'ai donné une interview quotidienne sur le thème de la sécurité. Ce n'était donc pas simplement une fête joyeuse et inclusive. Au contraire, elle a été prise dans le tourbillon de la politique mondiale.
Avec le recul, n'avez-vous pas été trop prudents?
Non, pas du tout. Il s'est passé beaucoup de choses au cours de cette période, des musiciens ont été harcelés et certaines personnes ont eu peur parce que le niveau d'alerte terroriste a été relevé. Nous ne sommes pas habitués à cela en Suède. À cela s'ajoute la peur des cyberattaques et de la désinformation.
La Suisse sera donc menacée elle aussi?
Je serais surprise que la Suisse ne subisse pas elle aussi des cyberattaques. Liverpool en a déjà fait les frais en 2022. Les problèmes ne sont pas seulement liés à la guerre en Ukraine, les attaques sont venues de Russie, d'Iran et de Corée du Nord.
Que peut faire la Suisse pour y remédier?
Je ne pense pas qu'on puisse faire grand-chose. Nous avons constitué très tôt, en septembre, un groupe de cyberdéfense. Et même au sein de la ville, nous avions une unité spéciale qui s'occupait des cyberattaques. Malgré tout, le risque zéro n'existe pas.
À combien s'élèvent les frais de sécurité?
Les autorités de police ont dépensé environ cent millions de couronnes suédoises (environ 8,1 millions de francs) pour la sécurité. La ville a bien sûr investi aussi dans la sécurité, mais elle ne communique pas de montant. Il est toutefois nettement inférieur. De nombreuses personnes ont longtemps travaillé à plein temps pour la sécurité au sein de la ville.
Qu'est-ce que cela provoque dans une ville lorsque des policiers lourdement armés patrouillent soudainement?
Ce sont des scènes inhabituelles, les gens ont même eu peur dans certains cas. Malheureusement, cela a empêché les habitants de Malmö d'assister aux événements. Ils ne reconnaissaient pas leur ville. C'était triste.
Ces sentiments ont-ils perduré?
Non, la fierté l'emporte. L'ESC a été une fête pour la démocratie. Les habitants de la ville sont très fiers que nous ayons pu avoir des manifestations et une grande fête en même temps. Peut-être que cela n'a pas été un aussi grand succès pour le tourisme que nous l'aurions espéré. Mais il y a eu une autre victoire, bien plus importante: celle de la démocratie.
Qu'est-ce que l'ESC apporte au tourisme?
Quand l'événement a débuté, il n'y avait pas beaucoup de monde à Malmö. On s'est alors dit que ça n'allait pas bien se terminer. Mais au fil de la semaine, de plus en plus de gens sont venus et les hôtels étaient bien remplis.
Ressentez-vous un effet Eurovision à plus long terme?
Cela ne fait que trois mois, donc cela est difficile à dire. Avec l'édition de 2013, nous pouvons toutefois remarquer que des événements ont toujours lieu dans la salle plus de dix ans après. Nous ne sommes pas Stockholm ou Göteborg. Pour une ville comme Malmö, le fait de pouvoir occuper l'Arena est donc un atout. Le directeur de l'hôtel et du centre de conférence où s'est déroulée la cérémonie d'ouverture cette année a déclaré qu'ils n'avaient jamais autant encaissé pendant l'ESC. Et je pense que cela aura également un effet positif à plus long terme.
Avez-vous déjà reçu le décompte final?
Non, il ne sera disponible que fin août. Mais je peux déjà dire que nous ne sommes pas en déficit. Ce sera un bon résultat.
En Suisse, le débat politique est en cours, on menace de lancer des référendums. Cela a-t-il aussi influencé votre travail en Suède?
Quel événement n'est pas influencé par la politique? Regardez les Jeux olympiques. Je pense que c'est pour cela qu'il est si important de voir que le Concours Eurovision de la chanson n'est pas un événement politique. C'est un concours de musique. Beaucoup de politiciens qui disent que l'ESC est politique ou qu'il sert seulement la communauté LGBTQ ne savent pas à quel point le concours est important pour la scène musicale. Ma fille écoute Nemo désormais et j'ai moi-même adoré le titre français. L'Eurovision peut créer des tubes mondiaux.
Qu'avez-vous à dire aux Suisses qui accueilleront bientôt l'événement?
Des gens pacifiques, drôles, amicaux et créatifs viendront en Suisse. Tout le monde sera le bienvenu, des plus jeunes et aux plus âgés. J'espère que vous en profiterez.
Y a-t-il une erreur que vous regrettez?
Je négocierais peut-être un peu différemment pour que nous n'ayons pas à gérer également toutes les réservations d'hôtel. C'était compliqué.
Vous rendrez-vous en Suisse pour assister à l'ESC?
Absolument. Je m'en réjouis déjà. J'espère obtenir un billet pour certains spectacles. Nous envions tous la ville qui va être choisie. C'est dur d'organiser le concours, mais c'est tellement amusant!