«Je suis là et prête. De toute façon, je suis morte. Je ne sens plus rien.» C’est par ces mots que Julie Hugo nous répond lorsqu’on lui demande si elle est prête à parler des suites judiciaires de l’épouvantable agression dont elle avait été victime, un soir de décembre 2021.
La veille, l’ex-chanteuse de «Solange La Frange» partageait sa douleur et son désespoir sur les réseaux sociaux. Condamné en première instance pour viol, lésion corporelle simple et contrainte, l’homme qu’elle accuse d’agression sexuelle a été acquitté en deuxième instance par le Tribunal cantonal de l’État de Fribourg. Une gifle pour la chanteuse «et pour toutes les autres victimes de violences sexuelles».
Au téléphone, son avocat, Maître Simon Chatagny, confirme, que pour l’heure, le Tribunal n’a pas rendu ses motivations. «Seule la décision brute a été communiquée aux parties. On ne sait pas sur quels motifs il a pris cette décision. On devrait les connaître dans les prochains jours.»
Nous rencontrons la chanteuse à Genève. Encore sous le choc, elle accepte de prendre la parole pour Blick.
Julie Hugo, sur Instagram, vous avez écrit: «Qu'on ne me parle plus jamais de justice — de l'intérêt de porter plainte.» Vous regrettez d’avoir porté plainte?
Oui… Après tout ce que j’ai vécu, cette torture de devoir répéter mon histoire encore et encore, d’attendre le procès. Tout ça pour un résultat pareil… Je regrette. Il avait été condamné en première instance pour viol, contrainte et lésions corporelles. Et il a été acquitté de tout.
Racontez-nous cette audience du lundi 25 mars.
Ça a duré de 9h à 14h. On a passé au crible ma personnalité, mon passé médical, mes mœurs ou encore mes pratiques sexuelles. On m’a posé plus de questions qu’à lui. On m’a demandé combien de temps j'avais été en dépression après ma séparation avec le père de ma fille. Quel est le rapport avec la nuit où j’ai été tabassée?
Vous avez eu l’impression que c’était plus votre procès que le sien?
Exactement. On a même questionné mon surnom sur les réseaux sociaux: La Patronne. En sous-entendant que cela pouvait être associé à des pratiques sexuelles sadomasochistes. Mes copains m’avaient donné ce surnom, car j’étais la patronne du groupe «Solange La Frange». Et puis quand bien même, je le répète, quel est le rapport avec cette nuit-là?
On vous a fait comprendre que vous n’étiez pas une bonne victime.
Oui, le fait d’avoir une sexualité libérée, d’avoir eu une vie de musicienne rock'n'roll, d’être la personne que je suis, m’a desservi. Parce que je n'ai pas le profil d'une femme «classique», la justice estime que je mérite ce qu’il m’est arrivé.
Vous vous attendiez à ce verdict?
Pas du tout. Quand mon avocat m’a appelé le soir même après avoir reçu un mail lui annonçant le résultat du verdict, je suis tombée des nues. Je ne comprenais pas. J’étais et je suis encore sous le choc. Il a été acquitté de tout. Des trois condamnations, ils n’en ont même pas retenu une. Même mon avocat ne savait plus quoi me dire…
Qu’est-ce que vous vous dites à ce moment-là?
Que tout ça n’a servi à rien. J’ai raconté cette agression au médecin généraliste, au psychiatre, à la gynécologue, à la police, à l’ORP, à la caisse de chômage, à mon employeur et à son assurance, à mon avocate, au procureur, au tribunal, au centre LAVI. Que de toutes ces prises de parole, de ces contrôles, il ne reste rien. C’est comme si cela n’avait pas existé. De mon parcours de victime, il ne reste plus rien.
Vous ne vous sentez pas reconnue?
C’est comme si la justice me disait que ma vie ou ma détresse n’avait aucune importance. Que le jugement de première instance n’a aucun poids, qu’il est balayé. Que de ne plus pouvoir sortir de chez moi, car je suis terrifiée, de ne plus voir mes potes, de perdre mon travail, ne plus pouvoir donner de concert, ça ne compte pour rien du tout. C’est une violence supplémentaire qu’on m’inflige.
Quel message cela envoie aux autres victimes de violences sexuelles?
J’ai juste envie de leur dire: «Ne portez pas plainte, vous allez mourir.» Malgré la douleur, je me disais qu’il fallait que j’aille au bout, que j’en parle, que je sois un exemple pour d’autres victimes. Mais tu as beau hurler, personne ne t’entend.
Vous leur conseillerez de ne plus porter plainte?
Dans un système comme ça, non. C’est dangereux, c’est maltraitant, c’est meurtrier. Je ne sais pas comment je suis encore vivante depuis le début et surtout depuis lundi soir. Heureusement que j’ai ma fille…
Vous envisagez d’aller jusqu’au Tribunal fédéral?
Je ne sais pas. Comment avoir de l’espoir avec un résultat pareil? J’ai l’impression d’avoir été pendue sur la place centrale de Fribourg.
Vous avez besoin de cette validation de la justice?
Je voulais qu’on donne un signal fort à mon agresseur, qu’il n’avait pas le droit de me faire du mal. Moi, je n’ai aucun droit, à part celui de rentrer chez moi avec ma parole mise en doute. Et l’idée que je méritais de me faire tabasser. Lui, peut continuer sa vie tranquillement.
Une gifle pour vous et pour toutes les victimes de violences sexuelles.
C’est clair. Celles qui hésitaient à porter plainte, elles vont se dire quoi? Qu’elles n’ont aucune chance.
Est-il encore important pour vous de témoigner dans les médias?
Oui, je le fais pour les autres. J’avais tellement envie de montrer qu’une procédure, c’était dur, mais que les choses pouvaient changer… Heureusement, depuis hier, j’ai reçu une centaine de messages, ça me donne un peu de force. Je fais partie aussi d’un groupe de parole pour victimes de violences sexuelles à Fribourg, «Amor Fati». On se soutient les unes les autres.
Vous avez envie de dire quoi à la justice fribourgeoise?
Qu’ils ne se rendent pas compte des dégâts psychologiques qu’ils infligent aux victimes. Déjà, après l’épreuve du premier procès, j’avais eu le sentiment d’être violée une deuxième fois. Eh bien là, j’ai été violée une troisième fois.
Comment voyez-vous la suite?
Je vais m’occuper de ma sœur, qui commence une chimiothérapie demain. C’est très triste, mais ça me donne une raison de vivre. Celle d’être là pour elle et de l’accompagner dans cette douleur.