«Ils me disaient de me tuer»
Un jeune Suisse victime de harcèlement scolaire témoigne

Marco Ribeiro, originaire des Grisons, a décidé de parler publiquement du calvaire des victimes de harcèlement. En 2016, il tente de mettre fin à ses jours à trois reprises parce qu'il est malmené à l'école. Témoignage.
Publié: 25.10.2021 à 13:26 heures
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Dernière mise à jour: 25.10.2021 à 14:12 heures
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Marco Ribeiro (à gauche) durant son entretien avec Blick.
Photo: Nathalie Taiana
Nicolas Lurati

Un cas scandaleux de harcèlement scolaire porté à la connaissance des médias en octobre dernier a défrayé la chronique en Suisse alémanique. Dans une école primaire de Reinach, en Argovie, des enfants auraient craché et même uriné sur d'autres élèves. Ce même mois, le cas de Dinah, jeune Française de 14 ans qui a mis fin à ses jours après avoir été harcelée durant deux longues années, a fait les gros titres de la presse francophone.

Mais ces cas très médiatisés ne sont que deux parmi tant d'autres. Le harcèlement scolaire est un phénomène tristement répandu, perpétré depuis toujours mais faisant des victimes de plus en plus jeunes. Ce problème reste difficile à appréhender et, surtout, à chiffrer. Il n'existe pratiquement aucune statistique. On sait simplement, par des témoignages et du bouche-à-oreille, que de très nombreuses personnes en ont souffert – en Suisse comme ailleurs.

Marco Ribeiro, un jeune Grison de 18 ans, en fait partie. Le jeune homme résidant à Ilanz poursuit aujourd'hui un apprentissage de polygraphe. Il révèle avoir été harcelé pendant des années. «Le calvaire a commencé lors de ma toute première année. Mes camarades de classe m'ont exclu, j'étais toujours seul à l'heure de la pause. Je n'avais pas d'ami.»

«J'ai été encerclé par 30 enfants»

Le harcèlement est arrivé à son paroxysme alors qu'il était élève en troisième année d'école primaire. Il a été victime d'un acte perpétré en bande d'une rare violence. «Une trentaine d'enfants m'ont encerclé. Parmi eux: des élèves de cinquième et sixième année, ainsi que des camarades de classe.» Une quinzaine de ceux qui l'entouraient lui ont alors jeté des cailloux, poursuit-il. «J'ai été touché au visage. J'ai eu extrêmement mal. J'étais en boule, couché sur le sol, lorsque mon professeur est arrivé. Il m'a regardé et m'a dit d'arrêter de faire sans arrêt des histoires pour rien.»

Il se souvient aussi du jour où ses camarades l'ont coincé contre un arbre et ont appuyé si fort sur sa poitrine qu'il ne pouvait plus respirer. Le petit s'est évanoui.

En plus des attaques physiques, la violence verbale était récurrente: «Ils m'appelaient 'fils de p...' ou 'p... de psychopathe'. Ils m'invitaient aussi à aller me suicider». Mais une fois rentré chez lui, le jeune garçon n'ose pas parler du harcèlement dont il est victime. «Je voyais bien que mes parents étaient dépassés par la situation. J'ai senti qu'ils ne voulaient rien avoir à faire avec ça.» Il ne les blâme pas. «Pour se protéger, ils ne voulaient pas reconnaître à quel point je souffrais.»

«Les professeurs regardaient ailleurs»

S'il n'en veut pas à ses parents, Marco Ribeiro n'a aucune indulgence pour ses bourreaux. «Je n'accepterai aucunes excuses. Pendant neuf ans, ils n'ont pas pensé à m'en présenter. Ils n'ont plus besoin d'en inventer aujourd'hui.» L'aspirant polygraphe porte également des accusations contre ses enseignants: «J'étais régulièrement battu dans la cour de récréation. Les superviseurs ne sont jamais intervenus. En général, les enseignants regardaient ailleurs lorsque j'étais frappé ou insulté. Ils ont même parfois fait de moi le bouc émissaire.»

Marco a fini par éprouver le sentiment qu'il était de trop dans ce monde. En 2016, pendant l'été, il décide de mettre fin à ses jours. Trois fois en à peine quelques mois. «J'avais laissé une lettre à chaque fois.»

Heureusement, cinq ans plus tard, il est toujours en vie. Il se porte bien, mais ne pourra jamais effacer ces horribles années de sa mémoire, tient-il à préciser. «Je n'oublierai jamais les brimades dont j'ai été victime. Une ou deux fois par semaine, j'ai des flashbacks qui me trottent dans la tête. Les expériences que j'ai vécues resurgissent parfois violemment.»

La pire chose pour les victimes de harcèlement: le silence

Marco a choisi volontairement de rendre son histoire publique. «Parce que je veux que l'on parle plus et plus sérieusement du harcèlement.»

Il conseille aux jeunes victimes de se confier à quelqu'un. «A propos du harcèlement lui-même, mais aussi en général. Lorsqu'on est harcelé, le simple fait que quelqu'un demande 'comment ça va' peut tout changer. Cela peut avoir un effet déclencheur et permettre d'ouvrir le dialogue: il ne faut jamais garder tout pour soi.»

Les victimes de harcèlement peuvent également le contacter directement, précise-t-il. «Je peux essayer de les aider. Ou simplement être une oreille attentive. Je veux pouvoir donner des réponses aux jeunes victimes lorsqu'elles se posent des questions.»

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