La Suisse va-t-elle connaître une nouvelle vague de Covid à l’automne ou pourra-t-elle enfin déclarer la pandémie comme terminée, à l’instar de nombreux pays européens?
Si quelqu’un connaît la réponse, c’est bien Emma Hodcroft. Cette épidémiologiste génomique est chercheuse sur les souches du coronavirus à l’Université de Berne. Sur Twitter, elle se fait appeler «The Virus Hunter» (La chasseuse de virus), ses messages touchant un public de près de 65’000 personnes.
Vous venez de vous rendre en Angleterre, pour la première fois depuis que la pandémie a éclaté, pour le mariage de votre sœur. Cela signifie-t-il que la normalité est de retour?
Le fait que vous puissiez à nouveau voyager est déjà un signe que la situation revient à la normale. Nous devons remercier la vaccination pour cela. La menace d’un scénario identique à celui de l’année dernière, où les différents variants du virus s’étaient répandus dans toute l’Europe pendant les vacances d’été, n’existe plus.
Vous êtes donc optimiste quant au fait qu’il n’y aura pas une forte augmentation du nombre de cas cet automne comme l’année dernière?
Je dirais que je suis réaliste. Grâce à la vaccination et aux tests, nous réduisons le risque. Mais nous devons rester vigilants. Jusqu’à présent, l’automne a été doux et nous avons passé beaucoup de temps à l’extérieur. Dès que les températures baissent, nous pourrions assister à une augmentation du nombre de cas.
Le taux de vaccination en Suisse n’est-il pas suffisant pour éviter cela?
Non. Rien que dans le groupe à risque des personnes de plus de 65 ans, il y a encore 150’000 personnes qui n’ont pas été vaccinées. S’ils sont infectés, ils devront très probablement être hospitalisés. Chez les plus jeunes, le taux de vaccination est encore plus faible.
Le nombre d’infections est en baisse depuis trois semaines. Cela ne montre-t-il pas que nous avons déjà passé la troisième vague?
Les chiffres sont encourageants. Ils montrent que nous avons la situation sous contrôle. Mais il serait dangereux de conclure que nous avons vaincu la pandémie et que nous pouvons nous laisser aller.
Cela signifie-t-il que les mesures sanitaires devront continuer à être appliquées sur le long terme?
Exactement. Je sais, les masques sont ennuyants. Personne ne se lève le matin en se disant: «Youpi, je peux enfin mettre mon masque et avoir de la buée sur mes lunettes!» Mais ils fonctionnent et nous permettent de ne pas avoir à recourir à des mesures plus strictes. En ce moment, les choses vont assez bien. La plupart des structures sont ouvertes et la vie semble presque normale à nouveau.
Le faible taux de vaccination en Suisse vous énerve-t-il?
C’est effectivement frustrant. Le vaccin est incroyablement efficace et incroyablement sûr. Des milliards de personnes dans le monde ont été vaccinées. J’ai toujours du mal à croire que certaines personnes se méfient à ce point d’une méthode scientifique approuvée.
Comment faites-vous personnellement pour sensibiliser le public?
Je parle beaucoup avec mes amis, ma famille et mes connaissances. En dehors de mon environnement personnel, j’éprouve quelques difficultés en Suisse, car je ne parle pas couramment l’allemand. Même avec mes voisins, c’est difficile. J’espère d’autant plus que j’atteindrai les gens avec mes posts sur Twitter et Facebook!
D’autres pays européens ont déjà déclaré la fin de la pandémie, comme l’Angleterre, la Norvège et le Danemark. Est-ce prématuré?
Le taux de vaccination fait toute la différence. Au Danemark, 75% de la population est entièrement vaccinée, en Suisse, ce chiffre est inférieur à 60%. Ce n’est tout simplement pas comparable. Le risque d’une nouvelle vague est beaucoup plus élevé en Suisse que dans les autres pays européens.
Quel est le taux de vaccination idéal?
Je pense que nous devrions viser au moins 80%. Pour les groupes à risque, même 100%. Aussi parce que la protection vaccinale s’estompe avec le temps. La vaccination aide à atteindre l’immunité collective.
Que pensez-vous des rappels de vaccin?
Jusqu’à présent, il n’existe aucune preuve scientifique que ces rappels préviennent les décès. Après tout, même si la protection vaccinale s’estompe avec le temps, vous êtes toujours protégé contre une évolution grave de la maladie. Devons-nous utiliser des doses de vaccin supplémentaires alors que, dans le reste du monde, beaucoup de pays manquent de vaccins, même pour les groupes à risque et le personnel médical? Tant que le virus y circule, nous courons le risque de voir apparaître de nouveaux variants, encore plus dangereux.
Le prochain variant avec la prochaine lettre disponible de l’alphabet grec, c’est pour bientôt?
Heureusement, nous avons encore tout l’alphabet à notre disposition! Il est clair que le virus va continuer à muter. Mais les nouveaux variants sont-ils plus contagieux ou peuvent-ils contourner la réponse immunitaire de l’organisme? Nous devons garder un œil sur cela. Ce qui est clair, c’est que le prochain variant sera probablement issu de celui Delta.
Ce variant pourrait-il apparaître en Suisse?
Tout est possible. Il y a un mois, nous avons découvert une nouvelle mutation à Bâle, qui a déjà circulé ailleurs en Europe. Nous avons ensuite pu retracer comment ce variant est passé de Bâle-Ville à Bâle-Campagne. Mais il n’était pas dangereux et ne s’est pas répandu à grande échelle, il y a peut-être eu une cinquantaine de cas. Mais cet exemple montre à quel point nous pouvons désormais suivre de près l’évolution du virus.
Vos recherches sur la pandémie vous ont rendue célèbre bien au-delà de la Suisse. Le Covid a-t-il donné un coup de pouce à votre carrière?
Ma carrière en a définitivement bénéficié, oui. J’ai pu travailler avec des scientifiques de renom du monde entier et j’en suis très reconnaissante. Mais j’ai aussi eu beaucoup d’opportunités qui m’ont glissé entre les doigts. Avec toutes ces recherches sur le Covid, j’ai laissé le reste de mes travaux de côté. Mais je n’ai qu’un poste temporaire à l’Université de Berne, ce qui me donne des nuits blanches. J’aimerais rester en Suisse, mais je ne peux pas sans travail. Beaucoup d’autres personnes ressentent la même chose. Nous devons veiller à ce qu’après la pandémie, nous n’ayons pas une armée de scientifiques au chômage. Ils ont achevé énormément de choses dans la lutte contre ce virus.