Bleu et blanc, ce sont les couleurs qu’ont choisi de porter les mariées. Laure, 45 ans, porte une longue robe blanche immaculée avec un voile bleu sur les épaules. Sa compagne, Aline, a quant à elle choisi une robe bleu roi qui lui arrive aux mollets. Elle aussi a opté pour un châle, mais blanc. Les tenues des mariées se complètent parfaitement.
Je suis l’une des premières journalistes à arriver sur place. Il est 10h20 environ et la cérémonie a lieu à 10h30 tapantes. Mais où sont-ils tous? Après un coup d’œil par-ci et un autre par-là, je vois qu’ils attendent déjà tous dans la pièce où les mariées s’uniront… Aïe, je n’aurai probablement pas de place pour faire des photos. Tant pis, si je suis là, c’est aussi pour discuter avec le couple. Pour le spot photo, on verra plus tard.
Mariage organisé en deux semaines
J’avoue que l’une des premières choses que je me suis demandée avant d’arriver, c’est comment les mariées allaient choisir leurs vêtements. Costard pour l’une et robe traditionnelle pour l’autre? Les deux en costume? Ou alors les deux en robe blanche?… «Nous avons organisé ce mariage en deux semaines», m’explique Laure, responsable RH. Pas le temps de trop réfléchir en somme. Il n’empêche qu’elle a tout de même fait attention aux détails: elle porte des boucles d’oreilles aux couleurs de l’arc-en-ciel.
En effet, l’association homosexuelle genevoise, Dialogai recherchait un couple de femmes pour s’unir lors de l’entrée en vigueur du mariage pour toutes et tous, initiative acceptée en septembre dernier. Les deux femmes, amoureuses depuis 21 ans se sont donc proposées. «Timing oblige, nous avons dû faire vite pour choisir notre tenue, mais on est plutôt contentes», confie Aline, 46 ans, mère au foyer, avant d’ajouter qu’elles étaient loin, très loin d’imaginer qu’il y aurait autant de médias sur place.
Unies pour la troisième fois
«On s’y fait, aux journalistes, mais c’est vrai que c’est un peu difficile pour moi parce que je dois jongler entre répondre à leurs questions et faire des photos», confesse Françoise, la maman de Laure. Mais ce n’est pas la bonne vingtaine de gens de presse qui empêcheront Françoise d’apprécier ce moment. «Oh vous savez, c’est la troisième fois qu’elles s’unissent. Au fur et à mesure que le temps passe, il y a une avancée et donc une autre célébration. J’ai aussi pu profiter des précédentes», me raconte cette mamie pleine d’amour et de fierté dans les yeux.
Les deux tourterelles se sont partenariées en 2003 et avaient déjà célébré le moment en grande pompe. À cette époque, pas de médias mais énormément d’invités et beaucoup de joie. Et puis, Laure et Aline ont renouvelé leurs vœux en 2014. Quatre années après, Laure donnait naissance à leur fils et aujourd’hui, elles convertissent leur partenariat enregistré en mariage. «Il y a 19 ans, nous nous sommes aussi mariées un 1er juillet. C’est un hasard rigolo. Sauf qu’aujourd’hui, en plus d’être un moment spécial pour nous, c’est un moment historique. C’était évident que les médias avaient leur place ici pour visibiliser cette union», souligne Laure.
Plus de journalistes que d’invités
Ici, au Palais Eynard où les mariées s’apprêtent à se dire «Oui», il y a autant de journalistes que d’invités, ou presque. D’après mes calculs, certes approximatifs, nous sommes à une vingtaine d’invités contre quelque 25 journalistes, radio, télé et presse…
Il est un peu plus de 10h30 et les convives entrent dans la pièce où se trouve déjà Marie Barbey-Chappuis, maire de Genève depuis un mois jour pour jour. «Malgré la forte présence médiatique qui peut être impressionnante, je suis très heureuse de pouvoir officialiser cette union durant mon mandat», souligne la maire.
Je me dépêche de me frayer un chemin parmi les micros et les caméras, en zigzaguant dans la foule. J’aperçois alors une ex-collègue et copine qui s’est gardée une place au chaud, histoire de pouvoir avoir les meilleures images. Là, j’avoue que j’ai un peu peur. Je suis fourrée dans un coin et je risque de rater mes clichés… La concurrence est particulièrement rude aujourd’hui. Tout le monde veut être aux premières loges.
Le mariage débute et les amoureuses échangent leurs vœux. Quant à moi, je lâche une petite larme. À cet instant, je me dis que, finalement, ce n’est pas si mal d’avoir dû me rabattre derrière tout le monde à défaut d’avoir une place en plein milieu de la pièce. Personne ne me verra sangloter comme un bébé…
Il en faut plus pour impressionner les convives
Un peu avant le baiser final, Alix, la nièce de Laure qui est aussi témoin, prend la parole et raconte comme elle a grandi avec ses deux tantes et à quel point cet amour l’a inspirée. La jeune femme d’à peine 23 ans se tient droite, ne bafouille pas et n’oublie aucun mot sans pour autant rester scotchée à ses notes. Je suis surprise par sa facilité et son aisance devant autant de monde. Françoise, qui s’est postée à côté de moi, m’explique que sa petite-fille avait quatre ans lorsque le couple s’est marié pour la première fois. C’était elle qui devait amener les alliances mais elle s’était rétractée à la dernière minute. La petite avait trop peur. «Ça a bien changé. Cette fois, elle ne stresse pas, même s’il y a des caméras et des appareils photo partout», me chuchote Françoise à l’oreille.
Christophe, le père d’Alix, n’est pas peu fier de sa fille et est très heureux pour Laure, sa petite sœur de huit ans sa cadette. Quant aux journalistes, il n’y porte pas vraiment d’attention: «Grâce à eux, on n’a pas besoin de trop s’embêter avec les photos. On aura pas mal d’images à ajouter à l’album de mariage», s’amuse l’horloger de formation, qui s’est d’ailleurs confectionné une montre taillée dans du saphir pour l’occasion.
De nature plutôt rieuse, Christophe me lance que finalement, cette myriade de journalistes, c’est un peu la cerise sur le gâteau. «Ces trois mariages, c’était comme dans un jeu vidéo: il y a plusieurs phases et là, c’est le super level final.»
«Silence! Ça tourne!»
Pas le temps de tergiverser, après deux ou trois canapés et quelques flûtes de champagne, les mariées sont sollicitées à l’extérieur pour répondre aux questions des journalistes. Plusieurs caméras sont braquées sur elles. Je remarque qu’elles sont main dans la main, comme pour se rassurer. «Vous savez, nous sommes plutôt discrètes dans la vie», expliquent les amoureuses.
Les questions fusent mais je peine à entendre les mariées. Apparemment, des personnes en contrebas du balconnet où l’on se trouve, montent une sorte de petite scènette destinée à un spectacle d’école. Là, un journaliste se retourne et demande sèchement qu’on fasse moins de bruit. Pour détendre l’atmosphère, un homme en charge du montage de la petite scène crie: «Silence! Ça tourne!»
Là, je tombe à nouveau sur mon ex-collègue et amie qui, solidaire, me fait une place à côté d’elle et son confrère. Visiblement amusée, elle balance: «C’est une ancienne du '20 Minutes', on peut la laisser passer. Bon maintenant, elle est chez Blick. La concurrence! Ah non, en fait, no pasarán!» Entre nous, l’ambiance est plutôt bon enfant. Mais c’est loin d’être le cas avec les autres. Pour preuve, elle m’explique qu’un caméraman lui aurait mis un coup d’épaule pour lui passer devant. «Je savais qu’il y aurait du monde, mais pas autant. Là, c’est un peu tendu», précise-t-elle.
Médiatisées mais pas trop
Si visibiliser un mariage tel que celui-ci grâce à la presse est plutôt encourageant pour les personnes présentes, cela a un prix. En plus des journalistes stressés qui jouent parfois des coudes entre eux, la médiatisation peut malheureusement s’avérer dangereuse pour les mariées.
Après, l’interview groupée, l’un des organisateurs et membre du comité de Dialogai réunit les journalistes pour leur demander de se contenter d’utiliser les prénoms des mariées dans leurs articles. «On ne sait jamais, il peut y avoir des malades qui seraient tentés de les chercher», explique-t-il.
Alors oui, l’heureux événement est à marquer d’une pierre blanche. Après tant d’années, les couples de même sexe peuvent enfin s’unir dans le mariage. Mais cette dernière requête me laisse pensive. Même si on avance, il y a encore du chemin à parcourir…