Jeunes, queer et révolutionnaires
Ces militants organisent une pride anticapitaliste à Lausanne!

Ces militants sont jeunes, anticapitalistes et en colère. Le 2 juillet, ils et elles marcheront sur Lausanne pour crier leur ras-le-bol de ces prides «commerciales», qui ne défendent plus leurs intérêts. Le collectif nous explique pourquoi il veut faire la révolution.
Publié: 22.05.2022 à 12:15 heures
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Dernière mise à jour: 22.05.2022 à 15:33 heures
La Pride de Nuit a émergé du constat que le capitalisme et les discriminations homophobes vont de pair.
Photo: Blick
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Le Grand Soir, c’est pour demain? «Non, malheureusement, il faut être réalistes (rires)», nuance d’entrée de jeu Émilie Villalmanzo, membre de l'organisation de la Pride (anticapitaliste) de Nuit, entre deux gorgées de maté froid. La serveuse qui serpente entre les tables sourit, elle aussi. Ici, presque tout le monde se connaît. La terrasse lausannoise du café de la Couronne d'or est l’un des QG de ce collectif de militants LGBTQIA+ (pour lesbienne, gay, bi, trans, queer, intersexe et asexuel).

Dans sa bio Instagram, le groupe annonce la tenue d’une marche des fiertés «queer, anticapitaliste, antiraciste et révolutionnaire 💥» le 2 juillet 2022, dès 16h30 au départ du parc Milan, à Lausanne. Comme nombre de projets qui voient le jour cette année, l’idée est née durant la pandémie, en 2020. Deux ans plus tard, les quelque 65 personnes présentes sur le groupe Signal — une application de messagerie — du collectif s’apprêtent à marcher sur la capitale vaudoise. Certains d'entre eux sont également actifs à l'extrême gauche de l'échiquier politique romand: dans les rangs du parti solidaritéS, par exemple.

Fabien Giller, Frankline Berger et Émilie Villalmanzo, trois membres actifs, ont accepté de rencontrer Blick en exclusivité. Il et elles n’ont pas peur de dire qu'ils ne sont pas contents.

La Pride de Nuit a émergé du constat que le capitalisme et les discriminations homophobes vont de pair, racontent les trois activistes. Et que, selon eux, les prides dites mainstream, à l’image de celle de Zurich, ne représentent plus les intérêts des personnes LGBTQIA+, au profit de ceux des entreprises qui les sponsorisent.

Goodbye Zurich

Frankline présente une apparence plutôt masculine, et n’est pas très à cheval sur le langage: elle se genre au «il», «elle» ou «iel». Au choix. Sa pensée politique est plus tranchée: «Ce qui manque dans les prides mainstream, c’est entre autres l’aspect de lutte contre le système», regrette la militante. À ses côtés, Fabien ajoute: «Ces événements ne sont plus porteurs de valeurs — ils sont porteurs de lobbies et d’argent, voilà tout.»

Et à Frankline de poursuivre en exemplifiant: «Pour stéréotyper, il y a aujourd’hui des personnes de la communauté LGBTQIA+ qui pensent que, parce qu’elles peuvent se marier et ne se font plus frapper dans la rue, il n’y a plus de combats à mener. Non! Pour moi, le combat est plus profond que cela, il s’agit de remettre en cause les systèmes qui ont mené à de telles violences. Et l’un d’eux est justement le capitalisme.»

Pour le groupe politique, la Pride de Zurich, par exemple, s'est vidée de toute substance militante il y a des années déjà. Pour ne devenir plus qu’une grande célébration commerciale et musicale. Le diable se cache-t-il donc dans la frivolité? Pas si vite. «Ce n’est pas leur caractère festif le problème, nuance Fabien. La fête est au centre des luttes queer depuis toujours. Mais on peut faire la fête tout en étant politique, tout en ayant des revendications.»

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Émilie et Fabien entonnent de concert: «Notre postulat est qu’une pride devrait avant tout être un espace pour nous visibiliser, nous, nos corps et nos revendications. Et pas une mercantilisation de nos luttes.»

Thierry Delessert, historien à l’Université de Lausanne, et chercheur à l’Institut de recherches sociologiques de l’Université de Genève, est spécialiste de l'histoire de l’homosexualité en Suisse. Pour lui aussi, la capitalisation croissante des grandes fiertés de par le monde est un problème. Il se souvient de la toute première Pride de Zurich, en 1978, huit ans après la première marche des fiertés au monde, à Chicago. C'était «l'opposé de la foire commerciale actuelle».

«À bas le capitalisme»

Capitalisme et lutte contre l'lgbtphobie… Concrètement, quel est le rapport? Frankline se lance: «Le lien, c’est simplement le fait que le capitalisme est basé sur des mécaniques très genrées, contre lesquelles luttent les féministes autant que les mouvements queer, les deux allant souvent de pair. Je dis cela en référence par exemple travail de care, au travail reproductif et autres travaux que réalisent les femmes, et que ce système économique ne considère pas comme du travail. Un travail qu'il ne rémunère pas

Thierry Delessert n’est pas du tout choqué par cette analyse, qui n’aurait en réalité rien de novateur: «Dans les combats queer, dès les années 1970, il y a toujours eu une critique de l’hétérosexisme, du patriarcat… Et, par extension, du capitalisme. L’idée là-derrière étant que la petite famille bourgeoise est au service de l’économie. Celle-ci oppresse fondamentalement les femmes, qui doivent être à la maison pendant que le mari travaille. Dans le même temps et selon le même schéma, l’on opprime aussi les homosexuels en les forçant à être des hétérosexuels.»

Alors pourquoi un tel combat peut-il aujourd’hui apparaître comme radical, voire de niche? «C’est en fait dans les années 1980, notamment à cause de la crise meurtrière du sida, que l’ensemble du discours s’est très fortement modéré, explique l’académicien. La priorité à ce moment-là était de devenir des acteurs de la prévention contre le sida. Et de s'intégrer, de s’assimiler à la communauté hétérosexuelle. Mais cette volonté n’a jamais fait consensus dans le milieu.» Des prides anticapitalistes, il y en a déjà eu d’autres, donc.

Qui veut faire la révolution?

Comme souligné plus haut, sur les réseaux sociaux, le groupe s'autoproclame entre autres «révolutionnaire». La Pride de Nuit ne compte pourtant pas incendier des banques ou faire sauter le Palais fédéral. Alors, ça veut dire quoi, être révolutionnaire au 21ème siècle?

La révolution, de nos jours et dans nos sociétés occidentales, serait plutôt, pour le collectif, un état d’esprit: «Lorsque nous disons être révolutionnaires, il faut, pour faire simple, plutôt comprendre que nous sommes des radicaux», affirment en coeur ces militantes et militants.

Vous l'aurez donc compris, l’esprit révolutionnaire et les luttes LGBTQIA+ marchent main dans la main depuis l’émergence de ces dernières, comme le souligne le sociologue et historien Thierry Delessert: «Les collectifs tels que la Pride de Nuit réactualisent en réalité les raisons d’être des toutes premières prides. C’est-à-dire, la dénonciation de la binarité homme-femme, des violences faites aux gays, et la volonté de mener une révolution sociétale. Souvent, ces groupes se voulaient, dès leur création, anticapitalistes et anticonformistes…»

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