De l’autre côté de mon écran, la Verte Sera Pantillon et le socialiste Baptiste Hunkeler attendent la mousson indienne. «Il fait vraiment chaud ici, tout est sec», appuie l’ex-président du Grand Conseil neuchâtelois. Le jeune couple — elle a 25 ans, lui 29 — est arrivé à Khadjurâho, site historique où les temples hindous et jaïns millénaires exhibent des scènes d’amour et de sexe libéré.
Dans quelques semaines, depuis le sous-continent, ces (désormais anciennes) étoiles montantes de la gauche locale fileront vers la Suisse par la terre. Objectif: être à la maison pour Noël après environ un an à bourlinguer, le sac au dos, le sourire aux lèvres. Et promis, cette fois, plus besoin de prendre l’avion.
Leur départ avait fait grand bruit dans les médias régionaux. Des mâchoires s’étaient serrées. Moins de six mois après leur brillante réélection au parlement cantonal, Sera Pantillon et Baptiste Hunkeler avaient démissionné. Au compteur, trois ans de service dans l’hémicycle pour elle, huit pour lui.
A cause du Covid, nous étions pessimistes
«Nous nous sommes déjà largement exprimés sur ce sujet, nous ne souhaitons pas y revenir», coupe l’ex-présidente des Jeunes Vert-e-s du canton horloger. A l’époque, tous les deux avaient exprimé une envie de «voir autre chose», mais aussi une certaine lassitude ou frustration face à la politique institutionnelle, à l’heure où le législatif venait de basculer à droite.
Ensemble depuis près de huit ans, les amoureux rêvaient de découvrir d’autres cieux et ont préparé leur grand voyage deux ans durant. «Au moment de nous porter candidate et candidat, nous étions pessimistes quant à la possibilité de partir à cause du Covid, tout était très compliqué», justifie Baptiste Hunkeler.
«Et puis, il y a eu une fenêtre d’opportunité», complète Sera Pantillon. Grâce à l’évolution de la pandémie, mais aussi parce qu’elle termine à ce moment-là son master en socioéconomie, avec une spécialisation en durabilité.
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Le cargo: écolo mais pas dispo
Baptiste Hunkeler, lui, décide de quitter son poste de juriste au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Envie d’un break. Pour faire le point et respirer. Avec en tête l’idée de tourner autour du globe sans jamais prendre l’avion… ou presque. «Malheureusement, ce 'presque' est devenu réalité, regrettent les deux écotouristes. C’est frustrant. Nous étions à bout touchant. Jusqu’au dernier moment, alors que nous avions déjà rendu notre appartement, nous étions en contact avec une agence qui devait nous permettre de nous rendre en Amérique centrale dans la cabine d’un cargo, un moyen écologique de traverser l’Atlantique puisque ces bateaux transportent de toute façon des marchandises.»
Le projet prend l’eau. «Avec les restrictions aux frontières dues à la pandémie, les cargos ont décidé de ne plus prendre de passagers, assure Baptiste Hunkeler. Lorsqu’on est en mer pendant deux semaines, c’est difficile de pouvoir se présenter à la douane avec un test Covid négatif effectué dans les dernières 72 heures et les compagnies en auraient été responsables.»
Le vol le plus court possible
Plan B: sortir la grand-voile au sein d’un équipage. Deuxième déception. Trop de demande pour le «bateau-stop». «Après des semaines de recherches et voyant la situation sanitaire des Caraïbes (où arrivent en général les voiliers), nous avons dû nous faire une raison et abandonner cette possibilité», écrivait le binôme sur son blog le 17 septembre, qui publie aussi une vidéo tous les dimanches sur leur chaîne YouTube.
Ils choisissent l’option «la moins mauvaise». «C’est-à-dire prendre le vol le plus court possible entre l’Europe et l’Amérique centrale, où il était à l’époque plus facile de voyager librement, raconte Sera Pantillon. Eviter les escales, même si elles rendent souvent le billet moins cher, était important pour nous dans le but de limiter notre empreinte carbone.»
Cap sur l’Espagne. «Nous nous sommes rendus à Madrid en train, et nous avons pu visiter Barcelone sur le chemin. Et puis, nous avons vu que les compagnies aériennes faisaient de toute manière voler des avions à vide. Ça a fini de nous convaincre.» Direction Mexico City, puis le Guatemala, le Belize, le Honduras, le Salvador, le Nicaragua, le Costa Rica et le Panama.
«Nous ne sommes pas des donneurs de leçon»
Son copain a des étoiles dans les yeux: «Gravir le volcan Acatenango au Guatemala et pouvoir admirer, en face, les éruptions du volcan Fuego toutes les dix minutes reste pour l’instant mon plus beau souvenir». Elle relève autre chose: «Être sur les routes nous a permis de passer par tout un tas d’endroits qui ne sont pas sur les cartes touristiques traditionnelles, comme le Salvador, par exemple».
Et puis est venue l’heure de rejoindre la Colombie — en passant par quelques îles — à la voile. «Nous avons rencontré de nombreux backpackers qui ne comprenaient pas pourquoi nous ne prenions pas l’avion pour nous déplacer. L’immense majorité prend des vols internes ou assez courts pour se déplacer. C’est plus rapide et parfois moins cher. D’un point de vue climatique, c’est absurde.»
Dans ces conditions et en fonction de la durée de ses vacances, n’est-ce pas difficile de s’en passer? «Nous nous rendons bien compte que ce n’est pas facile d’y renoncer et qu’il faut avoir le temps pour le faire. Nous ne sommes pas des donneurs de leçon, nous voulons juste partager nos expériences à travers nos vidéos, peut-être aider d’autres gens à le faire s’ils le veulent. Nous sommes conscients d’être des privilégiés.» Leur budget total: environ 30’000 francs par personne pour un an, économisés minutieusement.
Un saut en Californie
Comment concilier une envie d’ailleurs, l’obligation de prendre l’avion parfois, et ses convictions écologistes? «En mon for intérieur, la tension est permanente, la honte de voler est bien là, concède l’ex-élue. Mais c’est le choix qui restait afin de réaliser notre rêve. Pour traverser le Pacifique, il n’y avait pas de cargo non plus. Depuis la Colombie, il n’y avait pas de vol direct pour l’Asie, donc nous en avons profité pour visiter la Californie. Si on prend l’avion, il faut que ça en vaille la peine.»
En d’autres termes, on ménage la chèvre et le chou. «En évitant les escales et les vols internes, nous avons déjà grandement réduit l’impact climatique de notre tour du monde, pour lequel nous serons finalement montés dans seulement trois avions.» Et son compagnon de compléter: «Nous avons aussi fait des choix au moment de construire notre itinéraire. Si nous n’avions écouté que nos tripes, nous serions allés au Kenya, en Australie, en Indonésie ou ailleurs et aurions démultiplié nos trajets par les airs!»
S’attaquer à Easyjet plutôt qu’aux longs courriers
Aux yeux de Sera Pantillon et Baptiste Hunkeler, s’attaquer aux longs courriers pour lutter contre le réchauffement climatique n’est pas la priorité. Dans leur viseur (et leur radar…), les courts courriers. «En chiffres absolus, les petits vols sont bien plus nombreux, estime la première nommée. En plus, ils seraient facilement remplaçables. Si on les supprimait, l’impact sur les émissions CO2 mondiales serait très grand.» L'Office fédéral de l'aviation civile n'est pas tout à fait d'accord sur ce point (lire encadré ci-après).
- Au départ de l'Europe, les vols de moins de 1500 km représentent 70% du total des décollages commerciaux, selon l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC), qui se base sur le dernier rapport d'Eurocontrol, daté d'avril 2022. Inclus dans ce pourcentage, les très courts courriers, de moins de 500 km, comptent pour 30%. Selon Urs Neu, spécialiste de l'Académie suisse des sciences naturelles contacté par Blick, les chiffres au niveau mondial devrait être similaires.
- Selon le même document, les très courts courriers (moins de 500 km) sont responsables d'environ 2% des émissions totale de CO2. Les vols de moins de 1500 km de 30%. Résultat, les longs trajets (plus de 1500 km) pèsent donc bien plus lourd en chiffres absolus (70%).
- Toutefois, selon la distance parcourue, les émissions de CO2 par passager et par kilomètre peuvent parfois être moins élevées pour un long courrier qu'un court courrier, notamment parce que c'est au décollage et à l'atterrissage qu'un avion utilise le plus de kérosène. Selon le calculateur des services cantonaux de l’environnement, par exemple, en volant de Zurich à Berlin, vous pèserez 0,13 kg d'équivalent CO2 par kilomètre, contre 0,1 kg par kilomètre pour un Zurich-New York.
- Au vu des points précédent, l'OFAC — qui se base sur le rapport d'Eurocontrol — considère que le transfert des passagers des vols de moins de 500 km vers le rail n'aurait que peu d'impact sur les émissions de CO2, mais qu'il est nécessaire de le faire, aussi pour amortir les investissements dans les infrastructures ferroviaires. Pour la Confédération, le vrai levier en matière d'émissions de CO2 se situe du côté des plus longs courriers.
- Au départ de l'Europe, les vols de moins de 1500 km représentent 70% du total des décollages commerciaux, selon l'Office fédéral de l'aviation civile (OFAC), qui se base sur le dernier rapport d'Eurocontrol, daté d'avril 2022. Inclus dans ce pourcentage, les très courts courriers, de moins de 500 km, comptent pour 30%. Selon Urs Neu, spécialiste de l'Académie suisse des sciences naturelles contacté par Blick, les chiffres au niveau mondial devrait être similaires.
- Selon le même document, les très courts courriers (moins de 500 km) sont responsables d'environ 2% des émissions totale de CO2. Les vols de moins de 1500 km de 30%. Résultat, les longs trajets (plus de 1500 km) pèsent donc bien plus lourd en chiffres absolus (70%).
- Toutefois, selon la distance parcourue, les émissions de CO2 par passager et par kilomètre peuvent parfois être moins élevées pour un long courrier qu'un court courrier, notamment parce que c'est au décollage et à l'atterrissage qu'un avion utilise le plus de kérosène. Selon le calculateur des services cantonaux de l’environnement, par exemple, en volant de Zurich à Berlin, vous pèserez 0,13 kg d'équivalent CO2 par kilomètre, contre 0,1 kg par kilomètre pour un Zurich-New York.
- Au vu des points précédent, l'OFAC — qui se base sur le rapport d'Eurocontrol — considère que le transfert des passagers des vols de moins de 500 km vers le rail n'aurait que peu d'impact sur les émissions de CO2, mais qu'il est nécessaire de le faire, aussi pour amortir les investissements dans les infrastructures ferroviaires. Pour la Confédération, le vrai levier en matière d'émissions de CO2 se situe du côté des plus longs courriers.
Comment y arriver? «Aux collectivités publiques d’agir, d’investir dans le rail, de développer l’offre et de rendre les trains de nuit plus avantageux, de permettre aux familles et aux vacanciers d’éviter Easyjet. Là, il y a un vrai levier. Pour les traversées des océans, c’est plus compliqué. Et culpabiliser les consommateurs ne sert à rien, il faut leur faciliter la vie et leur donner envie de changer leurs habitudes.»
Rendez-vous en 2025?
Mais voyager sans prendre l’avion est aussi coûteux en temps. «On entre là dans un thème de politique plus générale, avertit Baptiste Hunkeler. Oui, dans l’idéal, si nous voulons réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, il faudrait que la population puisse travailler moins et avoir plus de vacances. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut se déplacer et voyager de manière plus écologique. En tant que socialiste, je pense que l’Etat devrait agir en ce sens.»
A l’entendre, on peut se dire que la chose publique lui manque quand même un peu. «Non, honnêtement, pas du tout. La politique, c’était un bon 50% à côté du travail. Ça fait du bien de prendre du temps pour soi. Après quatorze ans, j’avais envie d’une pause. Et il y a mille manières de s’investir…»
Sera Pantillon ne ferme pas complètement la porte à un come-back. «Je me suis engagée pendant environ 7 ans et je n’avais pas prévu de m’arrêter. J’ai très envie de continuer à le faire. Reste à savoir si ça sera en politique ou dans le monde associatif.» Réponse(s) aux prochaines élections cantonales de 2025!