Le séisme bancaire du 19 mars 2023 a même perturbé la structure du temps: ce soir-là, la télévision suisse se mettait en ordre de marche pour diffuser la conférence de presse censée enterrer Credit Suisse, l'ex-deuxième banque de Suisse fondée 167 ans plus tôt par Alfred Escher et prédécesseur de l'actuel Credit Suisse.
Mais l'annonce avait été précédée de réunion sans interruption entre les dirigeants de l'UBS, la Banque nationale, le Département des finances et la Finma. Credit Suisse, lui, a été pratiquement mis devant le fait accompli.
Le rachat de l'ex-deuxième banque suisse s'est décidé en l'espace de quelques jours. Pour que CS puisse se sauver, la Banque nationale a mis à disposition des liquidités d'urgence. En vain…
Pourquoi le Credit Suisse a-t-il disparu?
Parce que les clients et les actionnaires avaient perdu confiance en l'établissement, en retirant de l'argent de la banque dans des proportions encore jamais vues. Plus de 10 milliards de francs ont été retirés chaque jour pendant des semaines.
Le modèle d'entreprise de la banque était, lui, bancal. Lorsque le plus grand actionnaire a confirmé mercredi, avant le naufrage, qu'il n'injecterait plus d'argent dans les caisses de l'établissement en perdition, le cours de l'action a chuté en flèche. Le sort de la banque était scellé.
À qui la faute?
Credit Suisse entretenait une culture du risque qui lui a été fatale. La banque a traversé la crise financière sans trop de dommages, mais a ensuite agi avec moins de prudence que d'autres banques.
Toute une série de présidents à l'instar d'Urs Rohner, Brady Dougan ou Tidjane Thiam n'ont pas réussi à endiguer cette culture. Résultat: les amendes de plusieurs milliards et les scandales ont coûté beaucoup d'argent à la banque, tandis que les bonus versés aux cadres supérieurs ont continué à couler à flots.
Qu'est-ce qui a poussé l'UBS à acheter?
Le sens des affaires! Car l'historique financier de Credit Suisse n'était pas si mauvais. L'UBS a donc pris le risque, calculé, d'absorber quelques perles de sa concurrente, en la rachetant pour seulement trois milliards de francs.
Mais pour limiter les risques, l'UBS a tout de même obtenu une garantie de 9 milliards, à laquelle elle a renoncé entre-temps.
Pourquoi le «too big to fail» n'a-t-il pas fonctionné?
Parce que cette réglementation n'a pas du tout été appliquée. Lors de la crise de Credit Suisse, personne n'a eu le courage de liquider une grande banque mondiale de manière ordonnée. Les responsables ont eu peur d'essayer de voir comment les marchés et les autres pays auraient réagi en isolant les activités suisses des autres parties de la banque défaillante.
Que se passera-t-il maintenant si l'UBS trébuche aussi?
La Suisse ferait face à d'énormes problèmes, car aucune autre grande banque ne pourrait voler à son secours. Il ne resterait plus que l'Etat.
Il faut renforcer la réglementation dès à présent: la Finma doit être renforcée et la liquidation d'une grande banque mondiale doit faire l'objet d'un exercice crédible au niveau mondial.
Quand le rapport de la CEP sera-t-il publié?
Pas avant fin 2024. Pour tirer des bonnes leçons de la chute de Credit Suisse, toute la Suisse attend le rapport de la commission d'enquête parlementaire (CEP), laquelle a déjà tenu 15 séances et interrogé de nombreux acteurs de la crise de Credit Suisse. En avril, le Département des finances publiera également un rapport sur la réglementation «too big to fail».
Comment le cours de l'UBS a-t-il évolué depuis le rachat?
Le lendemain de la reprise, le cours de l'action UBS a d'abord fortement chuté, mais il s'est redressé le jour même. Depuis, l'action UBS a gagné plus de 60% en valeur.
Où en est l'intégration de Credit Suisse dans l'UBS?
L'intégration de Credit Suisse dans l'UBS progresse rapidement. La première phase, qui concernait les plans stratégiques et la stabilisation de la banque en crise, est terminée. Et fin 2023, l'UBS avait déjà réduit ses coûts de près de 4 milliards de francs.
La prochaine étape est la fusion officielle de l'UBS SA et de Credit Suisse SA. Celle-ci devrait avoir lieu d'ici le milieu de l'année.
Pourquoi vois-je encore partout le logo de Credit Suisse?
La marque Credit Suisse disparaîtra à long terme. Mais son logo figure toutefois encore sur les succursales, les en-têtes de lettres ou les cartes de fidélité. Une mention a également été rajoutée: «Fait partie du groupe UBS.» Mais après la fusion des deux entités suisses, le logo de Credit Suisse disparaîtra progressivement.
Qu'adviendra-t-il des succursales?
L'UBS compte 190 succursales et Credit Suisse, 95. Toutes dans de nombreux endroits à proximité immédiate. Une centaine de succursales devrait donc disparaître, mais pas nécessairement celles de Credit Suisse.
Qu'adviendra-t-il du siège de Credit Suisse à Paradeplatz?
Le bâtiment de Paradeplatz à Zurich reste la propriété de l'UBS. La banque prévoit d'y créer un campus financier, dont l'ancien siège de Credit Suisse constituera un élément central.
Les choses vont-elles changer pour les clients de Credit Suisse?
Pas pour l'instant. Tous conservent leurs relations bancaires avec le Credit Suisse. Le transfert des comptes vers le système bancaire de l'UBS pourrait commencer à partir de la mi-2025, un processus complexe qui ne devrait être achevé que l'année suivante.
Pourquoi Credit Suisse est-il toujours sponsor de la Super League?
Parce que l'UBS a repris toutes les obligations de sponsoring de Credit Suisse jusqu'à fin 2025, y compris le contrat pour la Super League. Ce qui se passera ensuite n'est toutefois pas encore très clair, car un renouvellement n'est pas obligatoire.
Seul le contrat avec l'équipe nationale suisse de football a été prolongé par l'UBS en 2023, et ce jusqu'en 2028 au moins.
Une mégabanque comme l'UBS, est-ce mauvais pour la concurrence?
Un rapport de la Commission de la concurrence se trouve à la Finma, mais n'est pas accessible au public. En principe, la Suisse dispose de suffisamment d'alternatives à l'UBS avec les banques Raiffeisen, les banques cantonales et d'autres établissements financiers.
Les entreprises, elles, sont nombreuses à ne pas vouloir se tourner exclusivement vers l'UBS, craignant de subir les conditions imposées par la mégabanque. Raison pour laquelle elles cherchent des alternatives auprès de banques étrangères.
Combien de personnes l'UBS a-t-elle déjà licencié en Suisse?
La banque ne communique pas sur le sujet. Le seul chiffre transmos par l'UBS évoque 3000 emplois perdus suite à l'intégration. Mais de toute évidence, des licenciements ont déjà été prononcés. D'autres employés ont quitté la banque de leur plein gré ou ont pris une retraite anticipée.
Quelle est l'ambiance de travail à l'UBS?
Elle est tendue! La dynamique des premiers mois se serait essoufflée et pour les anciens collaborateurs de CS, il s'agit de bien se positionner au sein de la nouvelle banque pour obtenir des missions intéressantes. Et pour ça, beaucoup font du zèle à coup de surmenage et de surcharge de travail.
L'UBS est-elle trop grande pour la Suisse?
Beaucoup craignent que l'UBS soit désormais trop grande pour être sauvée. Car le total du bilan de l'UBS est plus de deux fois supérieur à la performance économique de la Suisse. À l'exception de la Finlande, aucun autre pays d'Europe n'héberge une banque aussi pharaonique.
La Suisse a-t-elle vraiment besoin d'une aussi grande banque?
Non. En tout cas, pour la clientèle privée et de nombreuses entreprises, on pourrait se passer d'une grande banque. En outre, il y a suffisamment d'autres établissements financiers en Suisse.
La situation est un peu différente pour les clients commerciaux plus importants tournés vers l'international, lesquels ont besoin du réseau mondial d'une grande banque. On pourrait également se demander quel serait le rayonnement de la place financière sans une banque d'importance mondiale.
Combien de temps Sergio Ermotti restera-t-il?
Sergio Ermotti souhaite plus ou moins achever l'intégration de Credit Suisse avant de partir. Ce sera au plus tôt fin 2026, mais il est possible que cela prenne un peu plus de temps. Il doit maintenant réussir à préparer des successeurs en interne, qui connaissent la banque et qui ont participé à l'ensemble du processus d'intégration.