La politique d'asile est un sujet qui revient régulièrement sur la table ces dernières semaines. La pression migratoire ne cesse de croître et les coûts sociaux avec. Les 90'000 Ukrainiens qui ont trouvé refuge en Suisse depuis l'invasion russe ne constituent qu'une part de la problématique.
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Certes, la Confédération a augmenté le nombre de collaborateurs dans le domaine de l'asile en 2023, passant de 656 à 833. Sans grand succès jusqu'à présent. Selon le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), les demandes d'asile non traitées ont malgré tout augmenté. Total à ce jour: 15'800. C'est un nouveau record. Au printemps, ce nombre était encore de 13'000.
Fort de ce constat et conformément à son habitude, l'UDC monte au créneau. La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider, en fonction depuis un an, est particulièrement dans sa ligne de mire.
Mais celles et ceux que l'on entend le moins sont précisemment ceux qui sont au front au quotidien. Blick a mené plusieurs entretiens avec des fonctionnaires qui prennent des décisions en matière d'asile sur l'un des sites du SEM dans le pays. Pour des raisons évidentes, leurs propos ne peuvent être reproduits que de manière anonyme.
Le constat est inquiétant. «Il y a urgence, alerte l'un de nos interlocuteurs. Certains collègues sont à bout. Nous n'arrivons même pas à terminer la rédaction des décisions d'asile. Sans parler des dossiers non traités qui s'empilent.»
Record de demandes non traitées
Conséquence: les heures supplémentaires deviennent la règle. Mais un employeur public ne peut pas les imposer. «La plupart le font volontairement et travaillent aussi le week-end, rapporte un collaborateur. C'était déjà le cas lors de la crise des réfugiés en 2015 et maintenant depuis le début de la guerre en Ukraine.»
Les nombreux dossiers en suspens ont un effet «désastreux» sur le plan social estime l'un d'eux: «Certaines personnes attendent leur audition pendant un an. Pendant ce temps, elles traînent quelque part sans aucune mesure d'intégration ni aucune autre occupation possible. C'est mauvais pour la société, pour l'Etat et bien sûr pour les demandeurs d'asile eux-mêmes.»
Au sujet des 15'800 demandes records non traitées, le SEM indique à Blick: «Cela s'explique avant tout par le nombre toujours élevé de nouvelles demandes d'asile. Le SEM a certes pu développer ses ressources dans ce domaine au cours des derniers mois, mais celles-ci ne suffisent actuellement pas à réduire ce nombre.»
Une succarsale de l'autorité est située dans un quartier industriel de Zurich. Les bureaux sont installés dans un immeuble sans charme, entre une école d'art branchée et le siège du fabricant de chaussures On.
Toute personne qui souhaite demander l'asile peut y entrer. Dès lors, le processus se met en marche: on commence par retirer au demandeur ses papiers d'identité, son argent et ses preuves. Ensuite, l'État lui fournit un représentant juridique. Celui-ci conseille à son client de tout saisir le plus rapidement possible. Le cas échéant, la personne se retrouve dans la procédure dite de Dublin. On vérifie alors si le pays d'où il est arrivé est compétent pour le cas. Cela concerne environ la moitié des décisions.
Des coûts pour les communes et les particuliers
L'autre moitié des demandes fait l'objet d'une procédure dite élargie, au cours de laquelle diverses mesures entrent en jeu, comme l'audition d'une ambassade ou une expertise psychiatrique.
Pour les fonctionnaires, chaque nouveau cas signifie le début d'une recherche minutieuse, ils jouent pour ainsi dire le rôle d'enquêteurs. Un interlocuteur confirme: «Nous essayons de collecter le plus d'informations utilisables possible pour une décision d'asile correcte.»
Il n'est pas rare, selon lui, que les requérants n'aient ni papiers, ni carte d'identité, ni aucun autre document sur eux. «L'audition devient alors l'élément central de la procédure d'asile: croit-on la personne en face de soi? Ses explications sont-elles plausibles?»
Différents schémas sont observés selon les pays d'origine: «Pour les Afghans, par exemple, cela va plutôt vite. Ils arrivent souvent sans aucun papier. Nous prenons les données personnelles qu'ils nous donnent et enregistrons les motifs.»
Par la suite, les requérants sont répartis dans les communes. C'est là qu'interviennent les services sociaux, l'assistance, les autorités scolaires, les enseignants, les auxiliaires d'intégration, les psychologues, les conseillers d'orientation et les pédagogues spécialisés. On connaît le budget du SEM, qui a fait un bond pour atteindre aujourd'hui près de quatre milliards de francs. Mais personne ne connaît le coût total de l'asile pour la Confédération, pour les 26 cantons, pour les plus de 2000 communes et pour les particuliers.
Un désavantage pour la Suisse
Les procédures actuelles en matière d'asile sont issues des expériences de la Seconde Guerre mondiale. Le droit individuel à l'asile est aujourd'hui l'un des piliers des droits de l'homme. Et pourtant, la pression politique n'a jamais été aussi forte.
L'ONU estime à environ 100 millions le nombre de personnes ayant fui ou ayant été déplacées dans le monde. Dans les sociétés occidentales, les politiciens critiques envers la migration triomphent. L'exemple le plus récent est la victoire électorale du Néerlandais Geert Wilders et de son Parti de la liberté dimanche 19 novembre.
Un concours d'incitations négatives pour les demandeurs d'asile s'est pour ainsi dire déclenché entre les Etats. La Suisse, pays riche de l'espace Schengen situé au cœur de l'Europe, est de ce point de vue désavantagée.
La ministre de l'Immigration Elisabeth Baume-Schneider le sait bien. Il y a deux semaines, elle a serré la bride aux requérants venus du Maroc, de Tunisie et d'Algérie en introduisant à titre d'essai des procédures en 24 heures. «Baume-Schneider mise sur la dissuasion», titrait la presse mercredi.
La conseillère fédérale avait peut être besoin de se montrer ferme. Les élections fédérales ont lieu dans trois semaines et la Jurassienne fait l'objet de critiques permanentes de la part de la droite. Samedi, elle a même dû s'expliquer devant le groupe parlementaire de l'UDC au Palais fédéral.
Facteur d'attraction
Un collaborateur du SEM de Zurich déplore lui aussi les «signaux contradictoires» envoyés par la ministre jusqu'à présent. «Sa devise est: un toît pour chacun!»
En interne, on raconte qu'à chaque événement tragique – glissement de terrain en Libye, tremblement de terre au Maroc, guerre à Gaza – la Jurassienne a le réflexe d'évoquer un contingent de réfugiés supplémentaire. Contacté par Blick, son département dément.
Le porte-parole d'Elisabeth Baume-Schneider précise par ailleurs à propos des procédures rapides: «Au printemps 2023, la cheffe du département a chargé le SEM d'examiner des optimisations et d'élaborer des mesures afin d'accélérer les processus et de décharger le domaine de l'asile dans son ensemble. Le SEM met en œuvre ce mandat sur la base du droit en vigueur, notamment dans le cadre de ce projet pilote.»
Et pourtant, des critiques se font régulièrement entendre sur la communication de la conseillère fédérale, notamment au sujet de la décision d'accorder l'asile aux Afghanes, applicable dès maintenant.
Pour fuir les tyranies telles que celle des Talibans, les réfugiés se tournent vers les endroits où se trouvent déjà leurs compatriotes. Il s'agit du phénomène d'attraction. Le même phénomène a eu lieu pour la communauté érythréenne ou kosovare dans les années 90-2000.
Les demandes en provenance d'Afghanistan sont actuellement en augmentation et les décisions prises en Suisse accélèrent probablement le processus.
Verdict clément pour la cheffe
Malgré tout, le projet pilote pour les Maghrébins à Zurich est bien accueilli par le personnel du SEM. «Si les requérants doivent donner immédiatement leurs empreintes digitales et reçoivent une décision après 24 heures au lieu d'attendre deux semaines dans un bed & breakfast, c'est préférable.»
Pour certains groupes ethniques, il est régulièrement question de violence. C'est donc un secret de polichinelle que de dire que l'on y fait attention lors de la répartition des personnes dans les centres d'hébergement.
Il serait injuste d'imputer tous les problèmes d'une crise aussi complexe à la conseillère fédérale en charge ainsi qu' à la cheffe du SEM, la secrétaire d'Etat Christine Schraner Burgener. Le dossier de la migration est empoisonné: les responsables sont exposés à des évolutions globales impossibles à gérer depuis la Suisse, et en même temps, ils sont sous le feu permanent de la politique intérieure.
Ainsi, les collaborateurs se montrent mesurés dans leurs critiques. «Madame Schraner Burgener s'efforce d'écouter nos soucis», déclare l'un d'entre eux. Mais elle manque d'expérience du front – en tant que diplomate, elle a passé de nombreuses années dans des résidences d'ambassade. Le fait qu'elle organise par exemple pour ses cadres des discussions au coin du feu dans l'Oberland bernois, alors que les citoyens sont confrontés à plus de 15'000 demandes non traitées, n'est pas très bien perçu.
Sous Blocher, c'était plus clair
Interrogé à ce sujet, un porte-parole du SEM explique que la table ronde mentionnée a eu lieu dans le cadre de cours de direction internes au SEM. Les valeurs et les principes de direction définis par le Conseil fédéral sont à l'origine de cette démarche: «C'est dans ce but que le SEM organise, notamment, les cours de direction déjà évoqués. Ils durent un jour et demi et comprennent un 'entretien au coin du feu' avec un membre de la direction.» Il semblerait qu'un seul entretien de ce type n'a eu lieu en 2023 et pas directement avec la cheffe elle-même.
Et politiquement, où se situent donc les fonctionnaires de l'asile? «Chez nous, il y a de tout, répond l'un d'eux. Il y a les anciens, désormais critiques, dont certains deviennent cyniques. Ensuite, parmi les nouveaux, il y a les idéalistes de gauche. Parmi les plus jeunes, beaucoup sont plutôt apolitiques, mais très qualifiés. Nous avons des juristes, des économistes, des avocats, des spécialistes en sciences politiques. Il y a aussi des anciens, ancrés à gauche, qui disent tout de même: 'C'est sous Blocher que c'était le mieux'. A l'époque, la communication et la direction à prendre étaient claires.»
Le porte-parole du Secrétariat d'Etat constate pour Blick: «Le SEM, en particulier dans le domaine de l'asile, a également derrière lui une année 2023 très éprouvante. Tout le monde est conscient que les collaborateurs ont été une fois de plus très fortement sollicités.» En l'état actuel, «aucune autre augmentation des ressources n'est prévue dans le domaine de direction de l'asile.»