Après un nouveau décès près de Saint-Cergue
La route Blanche, paradis mortel des motards

L'accident de moto mortel de samedi n'était pas le premier à endeuiller la route Blanche, qui relie Nyon et Saint-Cergue (VD). Entre impuissance et solutions, récit de la colère et de la tristesse des riverains face aux motards «déviants» et aux drames à répétition.
Publié: 29.04.2024 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 29.04.2024 à 08:39 heures
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Police, motards, associations et autorités sont amenés à trouver des solutions communes afin d'éviter de nouveaux drames.
Photo: Keystone
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Léo MichoudJournaliste Blick

Les virages s'enchainent dans une forêt verdoyante, la vue est dégagée sur le lac Léman. Très prisée des amateurs de moto, la route Blanche est pourtant loin d'être immaculée.

Entre les villages de Trélex et Saint-Cergue, dans les hauteurs vaudoises de Nyon, on est familier des accidents de moto aux conséquences dramatiques. Ce week-end l'a encore démontré... Un motard de 45 ans a perdu la vie ce samedi 27 avril dans la descente, percuté par un autre qui dépassait une voiture en sens inverse.

Il s'agit du deuxième décès en trois semaines sur ce tronçon, idéalement situé entre Genève et Lausanne. Début avril, un jeune de 21 ans n'avait pas survécu à sa collision frontale avec une voiture, terminant sa course dans le talus en contrebas. En 2023, au moins trois décès sont à signaler, ainsi que plusieurs blessures graves.

Ramasser les «gamins» sur la route

C'en est trop pour Paul Ménard, syndic de Saint-Cergue depuis 2021: «La situation est frustrante et sincèrement triste, confie l'élu local à Blick, dimanche au téléphone. Les pompiers de ma commune ne le vivent pas bien. On n'est pas là pour ramasser les gamins et les pères de famille sur la route.» La veille, dans l'après-midi du samedi du nouveau drame, son GPS lui indique la fermeture de la route pour remonter chez lui. «Zut! Pas encore un...», raconte-t-il avoir pensé.

Paul Ménard est syndic de Saint-Cergue depuis 2021. Il se dit «aussi excédé que les riverains» des accidents à répétition sur l'une des seules routes d'accès au village.
Photo: Région de Nyon

Tristesse, colère et impuissance, c'est ainsi que Paul Ménard décrit ses sentiments. «Notre commune n'a aucun levier d'intervention sur le plan légal. Je ne peux pas interdire aux motos de monter. Malheureusement, on ne fait que constater les dégâts.»

Ce sentiment de surpuissance

Cette route limitée à 80 km/h est sous la responsabilité de la police cantonale. «Dès que la belle saison arrive, nous lançons des campagnes de prévention dans les lieux prisés des motards, assure Marjorie Recordon, répondante presse de la Gendarmerie vaudoise. Nous portons une attention toute particulière à la route Blanche, de même qu'aux cols du Marchairuz et du Mollendruz.»

La police cantonale vaudoise porte une attention toute particulière à cette route Blanche, de même qu'aux cols du Marchairuz et du Mollendruz.
Photo: Keystone

La porte-parole indique que ses équipes mettent en place «des opérations planifiées comme la pose de radars, des contrôles spontanés et des actions de réduction du bruit.» Pour Paul Ménard, la police cantonale fait tout ce qu'elle peut, mais le comportement des motards rend la situation difficile. «Dès qu'ils voient que la police est là, les motards calment le jeu et se font discrets, observe le représentant municipal exaspéré. Et quand ils s'en vont, ça repart à toute vitesse. Dans cette montée d'adrénaline ou de testostérone, ils ont un sentiment de surpuissance.»

Motards aux comportements «déviants»

Mais tous ne sont pas à blâmer, selon Leo di Crollalanza, président de l'association qui organise la Rétro Moto Internationale de Saint-Cergue. «Il y a un petit groupe de personnes déviantes qui génèrent une mauvaise image pour toute une communauté, lâche l'habitant du village niché dans la forêt. C'est très important pour des clubs et des associations de se détacher de cela. De donner une image différente de notre passion, afin d'éviter l'amalgame.»

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«Plus ils font d'aller-retours, plus ils vont vite… et plus ils prennent de l'assurance. Mais cette route est ouverte au public, aux automobiles et aux cyclistes. Ce n'est pas un circuit»
Leo di Crollalanza, motard et président de l'association Rétro Moto Internationale de Saint-Cergue
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Principal comportement «déviant»? Les motards qui enchainent montées et descentes une dizaine de fois dans la journée. «Plus ils font d'aller-retours, plus ils vont vite… et plus ils prennent de l'assurance, constate l'amateur avisé. Mais cette route est ouverte au public, aux automobiles et aux cyclistes. Il faut que ce soit clair: ce n'est pas un circuit.»

Certains semblent ne piloter que pour les caméras. Le motard Saint-Cerguois évoque ceux qui embarquent des GoPro afin de montrer au monde leurs exploits, c'est-à-dire leurs pointes de vitesse. Autre phénomène, des photographes annoncent sur des forums ou les réseaux sociaux leur venue à telle heure, sur tel trajet et à tel virage. Et des motards s'y rendent et «essayent de décrocher le plus possible, de frotter le genou ou le coude, pour obtenir la plus belle photo».

Course et sensibilisation

La course qu'organise Leo di Crollalanza — la Rétro Moto Internationale de Saint-Cergue — attire chaque année des cylindrées vintage sur la route Blanche, fermée à la circulation pour l'occasion. À l'été 2023, c'est pour une action de prévention que le passionné avait réuni plusieurs associations de motards de la région lémanique: le Norton Sport Club Genève, Generation2Motards et le Moto-Club La Côte, qui comptent environ 3000 membres au total.

Le but? Aller à la rencontre des motards, leur proposer d’autres façons de faire de la moto «tout aussi plaisantes et bien moins accidentogènes» et les sensibiliser aux risques inhérents à ce trajet. «C'est une route magnifique, pleine de beaux virages, sur sept kilomètres. Mais il faut faire en sorte que les personnes qui veulent prendre des risques à répétition sur ce tronçon soient démotivées de le faire», se désole l'organisateur.

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«J'ai l'impression que le phénomène s'intensifie depuis quelques années. Ce ne sont pas que des jeunes qui prennent des risques. Il y a aussi des pères de famille»
Paul Ménard, syndic de Saint-Cergue (VD)
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Le syndic Paul Ménard peine à se montrer optimiste pour l'avenir. «J'ai l'impression que le phénomène s'intensifie depuis quelques années. Ce ne sont pas que des jeunes qui prennent des risques. Il y a aussi des pères de famille qui profitent d'avoir les moyens pour s'acheter une belle moto, mais qui en font trop.» Une observation que confirme le drame récent, impliquant un homme de 46 ans et l'autre de 45. «Ces comportements ne sont pas réservés aux jeunes», assène son concitoyen Leo di Crollalanza.

Quelles solutions?

Dès lors, quelles solutions appliquer pour éviter un drame de plus. Pour Paul Ménard, impossible de mettre en place des mesures contraignantes sans faire un tollé. «Certains protestent qu'il s'agit d'une atteinte aux droits et aux libertés de chacun, vitupère le centriste. Mais cette route, les riverains ont le droit de l'utiliser sans se dire qu'ils vont faire un face-à-face avec un motard.»

Les ralentisseurs installés en 2009 sur le tronçon routier puis retirés n'avaient pas fait l'unanimité, considérés comme dangereux.
Photo: Keystone

De son côté, Leo di Crollalanza a plusieurs idées en tête. Pour lui, le radar de vitesse n'est pas optimal sur un parcours sinueux comme celui de la route Blanche. Il opterait plutôt pour un radar à plaques, c'est-à-dire un système capable de reconnaître si une même moto répète les allers-retours sur un trajet, testé aux USA. «C'est une mesure simple, qui cible les personnes qui montent et qui descendent à répétition», glisse le président d'association.

Autres propositions de ce dernier: créer des circuits sportifs, fermés à la circulation courante, ou installer des panneaux indiquant le nombre de morts et de blessés depuis le début de l'année. Mais surtout, réunir les acteurs du milieu en un «groupe de travail» pour trouver les bonnes solutions: politiciens, motards, associations de moto, forces de police. «Un mort est un mort de trop. C'est le moment de se mettre autour d'une table pour trouver des solutions pragmatiques. La tristesse et la colère doivent se transformer en motivation à agir», implore Leo di Crollalanza.

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