Le cannabis est l'une des drogues préférées des Suisses et des Suissesses. Les statistiques de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) de l'année 2017 le montrent: 4% de la population – soit 225'000 personnes – consomment du haschisch ou de «l'herbe» au moins une fois par mois. Chez les 15-19 ans, ce taux est presque deux fois plus élevé: ils et elles sont 7,7%.
Problème: en l'absence de législation assez libérale, impossible de contrôler la qualité et les taux de THC que fume la jeunesse helvétique. Or, comme le montre le nouveau rapport annuel de l'Office des NationsUnies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Suisse n'est pas le seul pays où Marie-Jeanne a beaucoup de succès. C'est la drogue la plus consommée par les jeunes dans le monde entier.
La Suisse ose gentiment la libéralisation
À ce jour, l'on ne peut pas parler d'une drogue dévastatrice à grande échelle, mais d'un phénomène à surveiller: la consommation de cannabis n'est responsable, dans notre pays, que de 15% des les thérapies liées à la consommation de drogue. Chaque année, entre 3500 et 4000 personnes se rendent en traitement stationnaire ou ambulatoire. Et les hôpitaux universitaires de Berne et de Zurich, par exemple, constatent une légère augmentation des demandes de traitement.
Pendant ce temps, la Suisse ose faire les premiers pas vers une éventuelle libéralisation de la marijuana: à partir du 1er août, la nouvelle ordonnance sur le cannabis médical entrera en vigueur, ce qui simplifiera grandement l'accès à l'herbe thérapeutique pour les patients qui en ont médicalement besoin.
Après que Bâle a obtenu en avril l'autorisation de l'OFSP pour le premier projet pilote de distribution réglementée de cannabis, la ville de Zurich lui emboîte le pas cette semaine. Les sujets des essais auront libre accès au cannabis, via des pharmacies sélectionnées.
Des taux de THC record
L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime prévient que les produits à base de cannabis ont aujourd'hui des effets de plus en plus puissants. En Europe, les taux de THC – c'est-à-dire la substance psychoactive qui «défonce» – mesurés dans l'herbe et le haschich ont doublé depuis 2002. Dans les années 1960, la marijuana made in Switzerland contenait environ 3% de THC. En 2021, cette moyenne était de 12% pour les fleurs et de 20% pour le haschisch, comme le montre une évaluation du centre d'information sur les drogues de Zurich.
C'est cette haute teneur en THC qui peut, dans certains cas et souvent à cause de prédispositions déjà existantes, favoriser le développement de troubles psychiques.
Coupée sur le marché noir
A cela s'ajoute le fait que, souvent, sur le marché noir, la substance récréative est coupée avec des cannabinoïdes synthétiques. Ou alors du cannabis pur CBD, qui peut être acheté et produit légalement dans notre pays, est simplement mélangé à du cannabis synthétique. Un tél produit synthétique, non contrôlé, peut quant à lui être dangereux pour la santé.
Jochen Kindler, médecin-chef à la Clinique universitaire de psychiatrie pour enfants et adolescents de Berne, le confirme: «Toutes les consommations ne se valent pas. Des facteurs décisifs sont par exemple la quantité et l'âge lors de la première consommation.» Selon lui, le système nerveux des plus jeunes est encore malléable, et donc plus vulnérable: «A l'adolescence, les parties du cerveau responsables du contrôle des émotions du sens de la récompense – des fonctions très importantes pour notre équilibre psychique – arrivent à maturité.» Selon des études scientifiques, la maturation de ces zones cérébrales peut être affectée par une consommation chronique et précoce de THC. Ce qui n'est plus le cas à l'âge adulte.
Légaliser pour surveiller
Le psychiatre voit ainsi une lueur d'espoir en la libéralisation: «En abordant le cannabis de manière scientifique, les groupes vulnérables, comme les jeunes, peuvent être mieux informés et protégés de manière plus ciblée que jusqu'à présent.» Jochen Kindler précise cependant que libéraliser sans contrôler (l'âge des consommateurs ni la quantité de THC) ne servirait pas à grand-chose.
Marcus Herdener, qui dirige l'essai pilote à Zurich, est du même avis: «Le fait est qu'une grande partie de la population suisse a déjà consommé du cannabis. Beaucoup en consomment. C'est une réalité. Mais ce n'est pas dénué de risques non plus. Avoir un débat social objectif, sans trop de sentiments à ce sujet est donc important.»
Donc oui, une légalisation réglementée permettrait d'influer positivement sur la qualité et la pureté du cannabis consommé par la population, ainsi que de prévenir la consommation problématique grâce à des offres d'information, de conseil et d'aide.
Les médecins ne voient pas de danger
Les deux médecins interrogés pour le présent article ne voient aucun danger dans la nouvelle possibilité de se procurer du cannabis sur ordonnance médicale. Ils s'attendent certes à une augmentation du taux de prescriptions. Mais ce dernier reste strictement contrôlé, contrairement à ce que consomment la plupart des gens aujourd'hui...
«Le cannabis médical fait toujours partie des stupéfiants, c'est pourquoi il ne peut être administré que pour certaines indications médicales correspondantes. Mais grâce à la nouvelle réglementation, la thérapie devient plus accessible, ce qui profite au patient», explique Marcus Herdener.