Pierre-Yves Maillard a raison. Le président de l’Union syndicale suisse a le devoir de rester vigilant, au-delà même de l’adoption du futur mandat de négociation avec la Commission européenne, rendu public vendredi 15 décembre par le Conseil fédéral.
J’ai souvent, pour ma part, regretté ici que l’exécutif procrastine autant dans ses discussions avec Bruxelles, depuis le rejet unilatéral du projet d’accord institutionnel, le 26 mai 2021. J’ai aussi insisté, dans mon analyse de la feuille de route commune publiée la semaine dernière par le gouvernement et la Commission européenne, sur les concessions faites par celle-ci en matière de libre circulation des personnes et des travailleurs. Des arguments partagés ce dimanche dans la «Sonntagszeitung» par la juriste Christa Tobler, professeure à l’université de Bâle.
Arrêtons de croire, écrit-elle, que l’UE est un mur contre lequel les intérêts de la Suisse ont vocation à se disloquer. Au contraire. Le mandat présenté est un texte de compromis, dans lequel Bruxelles tolère des exceptions helvétiques, notamment en matière d’expulsion des étrangers délinquants, et de restrictions des droits accordés aux citoyens européens sans activité professionnelle désireux de s’établir en Suisse.
Mandat de négociation
Tout cela devrait me conduire à préconiser une adoption rapide du mandat de négociation, et la conclusion au plus vite de nouveaux accords bilatéraux, de nature à stabiliser nos relations économiques avec nos voisins, et à dégager l’horizon pour nos chercheurs pressés de retrouver le chemin du programme européen Horizon.
Et bien non! Au contraire. Au vu de la situation politique dans la plupart des pays du continent, où le sentiment de déclassement généralisé mine les classes moyennes, les syndicats suisses doivent réaffirmer leurs exigences. Il faut que le principe de «non-régression sociale», contenu dans le mandat, soit le plus effectif et réaliste possible. Il faut que le marché du travail helvétique soit à la fois ouvert et protégé. Parce qu’il en va, au-delà de nos frontières, de l’intérêt de nos partenaires.
Prix politique
Le dumping social est une plaie que les pays d’Europe occidentale paient politiquement très cher. L’ouverture de leur marché, logique pour aspirer vers le haut les économies d’Europe centrale et orientale, s’est transformée en jungle où les entrepreneurs les plus malins, capables de jongler avec les règles, cherchent sans cesse à moins payer leur main-d’œuvre.
En France, le secteur du déménagement par exemple, est désormais presque entièrement entre les mains de transporteurs d’Europe de l’est, dont les chauffeurs conduisent des véhicules immatriculés en Pologne ou en Roumanie. Est-ce une bonne nouvelle? Non. La régression sociale délite les sociétés, et sabote notre capacité à élaborer des compromis démocratiques.
Lourde responsabilité
Pierre-Yves Maillard porte une lourde responsabilité dans l’impasse qui a prévalu, depuis trois ans, entre la Suisse et l’Union européenne. Son alliance de facto avec l’UDC a semé la défiance entre Berne et Bruxelles. Sagement, l’Union européenne n’a pas claqué la porte.
Le rôle du Conseiller aux Etats vaudois doit être aujourd’hui vigilant et constructif. Ce que la Suisse obtiendra, pour faire barrage à la régression sociale, servira d’autant mieux aux autres pays européens si la Suisse redevient, pour les 27, un partenaire respecté qui inspire la confiance.