Monsieur Maillard, on vous surnomme le bulldozer...
Peut-être, mais je n'écrase personne. J'essaie simplement de convaincre avec des arguments.
Vraiment? Alain Berset et Simonetta Sommaruga, qui partageaient votre réticence sur la question de l'Union européenne (UE), ne siègent plus au Conseil fédéral désormais.
C'est vrai, mais mes collèges Elisabeth Baume-Schneider et Beat Jans sont également sensibles à nos préoccupations.
Tous deux sont originaires d'un canton frontalier. Elisabeth Baume-Schneider et Beat Jans sont pourtant considérés comme pro UE. Pensez-vous qu'ils pourraient représenter un obstacle à vos revendications?
Non, je ne pense pas.
Quel est votre regard sur le travail du conseiller fédéral Ignazio Cassis avec le dossier européen?
Il a dû essuyer de nombreuses critiques pour avoir rompu les négociations avec Bruxelles. Le nouveau mandat de négociation que le Conseil fédéral a présenté vendredi comporte de nouveaux risques, mais il contient aussi certaines améliorations. Cela montre que cela vaut la peine de négocier durement et longtemps avec la Commission européenne. C'est ce que nous attendons maintenant du Conseil fédéral: des négociations fermes et sans relâches avec Bruxelles, et une solution en faveur de la population suisse!
Pour vous, la protection des salaires est un point central?
Oui, Bruxelles exige que nous adoptions la réglementation européenne sur les frais. Pour un citoyen de l'UE, cela peut faire jusqu'à 3000 francs de différence. Le dumping salarial et les distorsions du marché menacent par le biais des frais. Il faut empêcher que cela arrive.
L'UE veut accélérer le pas avec les négociations à venir. En juin 2024, les élections européennes auront lieu.
Je suis sceptique à ce sujet. Nous ne sommes pas pressés. Si le Conseil fédéral est décidé et que Bruxelles se montre prêt à faire des compromis, nous pouvons volontiers aller de l'avant. Mais je serais tout de même très surpris que les nombreux problèmes que nous rencontrons actuellement soient résolus en quelques mois.
Quel degré de responsabilité a l'USS dans l'enlisement des négociations? Vous ne pouvez tout de même pas faire comme l'UDC et rejeté tout en bloc...
Ce n'est pas ce que nous faisons. Nous sommes en faveur d'un accord avec Bruxelles, s'il assure de meilleures conditions de travail en Suisse et si notre service public demeure garanti. Mais ces deux conditions ne semblent malheureusement pas être respectées. Par ailleurs, nos exigences sont modérées. Au Luxembourg, par exemple, il existe un salaire minimum national et une augmentation automatique des salaires en cas d'inflation.
Avec quelles concessions Bruxelles pourrait-elle convaincre les syndicats suisses?
La Commission européenne doit reconnaître nos spécificités légitimes en matière de protection des salaires et de service public. Et si elle veut faire pression sur la Suisse, elle devrait le faire notamment parce que notre pays ne respecte pas les conventions sur la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail auprès des Nations unies (OIT). Sur ce sujet, les organisations patronales ne cèderont pas. Pas même sur des revendications minimales comme la déclaration générale facilitée des conventions collectives de travail.
L'un des points de discorde dans les relations entre Berne et Bruxelles est la libéralisation du trafic ferroviaire. Pour quelles raisons y êtes-vous globalement opposé?
Nous ne voulons pas faire comme l'Allemagne. Le pays avait un réseau ferroviaire de grande qualité. Mais depuis la libéralisation des rails, rien ne va plus. De nombreux trains ne sont pas à l'heure. La Suisse possède un des meilleurs réseaux ferroviaires. Il faut le préserver.
Pourquoi vous opposez-vous à la libéralisation du réseau électrique? Les consommateurs pourraient pourtant économiser beaucoup d'argent grâce à cette mesure.
Au début, le prix de l'électricité baissera. Mais pour rester compétitifs, les fournisseurs d'électricité renonceront à investir. Et à la prochaine pénurie, les prix s'envoleront à nouveau. Nous, les syndicats, sommes contre de tels scénarios!
Pour vous, la 13e rente AVS, sur laquelle on votera le 3 mars, est plus urgente que le dossier européen?
C'est une votation historique. Les bénéfices sont en plein essor, les banques sont sauvées. Mais les retraites et les salaires ne suffisent plus, car tout devient plus cher: les loyers, les primes maladies, les denrées alimentaires. Comment s'en sortir, surtout quand on est à la retraite? Nous avons besoin d'une 13e rente AVS et nous pouvons nous le permettre. Le Conseil fédéral prévoit 3,6 milliards de francs d'excédents pour l'AVS en 2026. A chaque session, nous entendons parler de nouveaux avantages fiscaux pour les plus riches de ce pays. Il n'y a que pour le peuple qu'il n'y a jamais d'argent. Cela doit changer.
Pourquoi vous êtes-vous opposé à la proposition alternative de Melanie Mettler et Beat Rieder concernant une 13e rente AVS pour les 25% plus pauvres de la population?
Cela s'explique par plusieurs points, mais ce qui est certain, c'est que si notre initiative est rejetée, il n'y aura aucune amélioration pour l'AVS – aucune! C'est pour cette raison précise que les bourgeois voulaient éviter les contre-projets. L'AVS n'est pas une aide sociale. C'est un moyen de vivre de manière sécurisante dont la population suisse doit bénéficier. Or, ce n'est plus le cas, même pour la classe moyenne.
L'UDC genevoise soutient votre initiative. L'UDC valaisanne a décidé de laisser le choix à la population. Selon les sondages, votre projet recueille 70% d'avis favorables. Vous devez être plutôt satisfait...
Le chemin est encore long, d'autant plus que nous n'avons pas autant d'argent que le lobby des banques et des assurances. La vice-présidente de l'UDC, Céline Amaudruz, devrait écouter sa section cantonale genevoise et défendre notre initiative. On sait que la 13e rente est très populaire dans la base de l'UDC.
La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider doit se positionner contre la 13e rente AVS en tant que conseillère fédérale, bien qu'elle y soit en fait favorable. Qu'en pensez-vous?
Elle respectera la collégialité du Conseil fédéral, mais tout le monde connait son opinion personnelle.
Alain Berset laisse derrière lui de nombreux défis au Département de l'intérieur, à commencer par les primes de santé élevées. Mme Baume-Schneider est-elle la bonne personne pour lui succéder?
Nous allons tout faire pour remporter la votation sur la 13e rente AVS, ainsi que l'initiative pour l'allègement des primes. Les challenges qui attendent Elisabeth Baume-Schneider sont passionnants.