L’Ukraine n’est plus seulement le théâtre d’une guerre atroce, déclenchée par la Russie le 24 février 2022. C’est le lieu d’un duel à mort (politique) entre deux chefs d’État qui, le 16 juin 2021, s’étaient retrouvés à Genève, dans la superbe bibliothèque de la villa La Grange. Un duel qui, deux ans plus tard, ce mardi 21 février 2023, a pris la forme d’une traque impitoyable.
Le discours de Vladimir Poutine à Moscou
À Moscou, lors de son discours annuel devant le parlement russe, Vladimir Poutine a relancé la traque contre l’élite occidentale, l’accusant de ne pas cacher «ses objectifs d’infliger une défaite stratégique à la Russie, c’est-à-dire qu’un conflit local doit entrer dans une phase d’affrontement mondial».
À Varsovie, devant l’ancien palais royal, au cœur de la capitale historique détruite par les nazis durant la seconde guerre mondiale, Joe Biden a promis de traquer, à l’américaine, tous ceux qui, sur le sol ukrainien, se mettent en travers de la liberté et de la justice, faisant l’éloge de «la volonté de fer de l’Amérique et des nations du monde entier qui refusent d’accepter un monde gouverné par la peur».
Ces deux discours étaient très attendus. Et il suffit de les réécouter, ou de les visionner, pour comprendre dans quel tunnel effrayant cette guerre nous a plongés. Quelles que soient nos opinions sur ce conflit atroce qui déchire l’Ukraine, le bilan de cette journée de prises de paroles savamment mises en scène dit le précipice qui s’est ouvert devant nous.
Enfermé dans sa vision d’une Russie assiégée à la fois sur le plan militaire, politique, culturel et religieux, le maître du Kremlin déroule mécaniquement une vision paranoïaque du monde moderne et démocratique où «la destruction des familles, des identités culturelles et nationales, la perversion et la maltraitance des enfants jusqu’à la pédophilie, sont déclarées comme étant la norme, c’est la norme de leur vie». Tandis que ses présumés ennemis ne cessent, selon lui, «d’attaquer l’Église orthodoxe russe et les autres organisations religieuses traditionnelles de la Russie».
Le discours de Joe Biden à Varsovie
Chef suprême de l’alliance militaire la plus puissante du monde, résolu à faire traduire en justice les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pour lui incontestables, résolu à jouer le rôle de défenseur en chef de la liberté face à l’oppression, Joe Biden assume pour sa part le risque de coupure du monde entre démocraties et autocrates.
Comme s’il n’existait, à l’écouter, aucune nuance et si la démocratie occidentale était, au fond, le seul modèle à suivre pour des sociétés confrontées, dans les pays pauvres et émergents, à des défis bien différents des États les plus développés aujourd’hui regroupés autour de Washington.
Deux visions du monde opposées
Ces deux visions du monde sont plus qu’opposées. Elles s’excluent mutuellement et ne peuvent donc que nourrir des craintes supplémentaires envers un Vladimir Poutine plus dictateur-destructeur que jamais, convaincu que le chantage nucléaire demeure une arme fatale à sa disposition, même si la Chine et l’Inde lui ont dans le passé clairement signifié leur désaccord.
Voilà le résultat de cette journée: deux discours aux antipodes entre lesquels, pour le moment, aucune alternative ne peut exister et aucun plan de paix crédible ne peut s’interposer.
Le duel Biden-Poutine est aujourd’hui sans issue. Car l’un comme l’autre n’envisagent qu’une sortie de crise: leur victoire totale. La diplomatie et la paix sont, malheureusement, aujourd’hui condamnées à attendre dans les tranchées et les ruines de l’Ukraine en guerre.