Il ne suffit plus de gagner (énormément) d’argent pour faire taire ses actionnaires. Au contraire. Mercredi 25 mars à Paris, l’assemblée générale de Total Energie s’est transformée en rude épreuve pour Patrick Pouyanné, son patron qui aurait dû, au contraire, surfer sur les seize milliards de dollars de profits réalisés par l’entreprise en 2021.
Seize milliards de dollars de profits
Seize milliards pour un chiffre d’affaires de 205 milliards de dollars! Après treize milliards de dollars de profits en 2020! Total Energie a aujourd’hui toutes les raisons d’attiser les critiques, les jalousies, et les exigences d’investir encore plus dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dans le viseur de ceux qui accusent le géant français de tous les maux? Sa présence maintenue en Russie (où Total reste actionnaire de plusieurs entreprises pétrolières russes, et demeure l’un des opérateurs de l’immense projet Arctic LNG 2 située sur la péninsule sibérienne de Gyndan) en pleine guerre en Ukraine, et son manque d’ambitions en matière de transition énergétique.
Un plan «climat» rejeté par neuf actionnaires
«Le groupe n’a pas chiffré ni expliqué comment il souhaite diminuer les émissions de CO2 pour 2030 au niveau mondial» a regretté mercredi la porte-parole d’un des neuf actionnaires importants qui ont refusé de voter son «plan climat». Des investisseurs français importants comme le Crédit Mutuel ou la Financière de l’Echiquier ont dit «non» à la direction du groupe qui vient quand même de prendre un nouveau virage «vert»: Total a renoncé en février à un projet pétrolier dans le Golfe du Mexique, préférant acquérir le conglomérat américain SunPower spécialisé dans l’énergie solaire. «Total climate criminal», «Retrait Total de Russie», «Stop projets énergies fossiles»… Tous ces slogans ont été entonnés par environ 250 activistes d’ONG telles que de Greenpeace ou «Les amis de la terre» à l’entrée de la salle Pleyel où se tenait l’AG à huis clos de l’entreprise. Avec, en prime, l'accusation de s'enrichir sur le dos de l'Ukraine: le président Ukrainien Volodymyr Zelensky a plusieurs fois exigé le retrait de Total de Russie, l'accusant de s'enrichir sur le dos de son pays grâce à la flambée du prix du baril qui atteignait 113 dollars ce 25 mars.
Retrait de Birmanie
Total criminel? Dans un autre pays, l’argument a fait mouche. En janvier, la direction du géant pétrolier a décidé de se retirer de Birmanie, sous la coupe des généraux depuis le coup d’Éftat militaire de février 2021. Total y exploitait le gazoduc de Yadana, important pour le pays et ses voisins. Ses craintes pour sa réputation l’ont donc emporté. Mais en Russie, les enjeux financiers sont d’une toute autre taille. Le coût du projet Arctic 2 est estimé à 22 milliards de dollars, dont dix milliards ont été co-empruntés par Total et son partenaire Novatek fin 2021.
Total accusé, mais incontournable
Pas question toutefois pour l’Union européenne de se fâcher avec une entreprise… dont dépend largement son avenir énergétique. Total est en effet le numéro deux mondial du gaz liquéfié, dont le continent dépend tellement pour se substituer aux hydrocarbures russes. C’est d’ailleurs pour cela que la firme a investi dans Arctic 2, destiné à produire du gaz LNG. En pleines tractations sur l’arrêt des importations de gaz russe, et sur un embargo pétrolier que refuse toujours la Hongrie, l’UE a donc un besoin crucial de Total comme du géant néerlandais Shell pour diversifier ses approvisionnements. Les profits pétroliers du géant français sont peut-être intenables face à l’opinion publique. Mais ils lui garantissent un très puissant levier, face aux gouvernements européens et à ses opposants.