«L'économie russe va peut-être se retrouver à genoux. Mais si la guerre en Ukraine continue, le prix que nous devrons payer pour ce boycott peut devenir intenable.» Dans les étages du bâtiment du Conseil européen, là où ont négocié jusque tard dans la nuit les 27 chefs d'État ou de gouvernement de l'UE, ce haut-fonctionnaire européen l'avoue: un sujet a dominé les conversations lors du sommet extraordinaire des chefs d'État ou de gouvernement qui s'achève ce mardi.
Concessions financières
Il s'agit des concessions financières exigées par le Premier ministre hongrois Viktor Orban pour donner son accord au sixième paquet de sanctions contre Moscou. La nuit de lundi a accouché de décisions difficiles. Avant la fin de l'année, 90% du pétrole russe venu par le nord de l'Europe cessera d'être importé.
La première banque russe Sberbank (37% du marché) sera finalement écartée du système de paiement Swift. Plus au sud du continent en revanche, les importations de pétrole par la Hongrie (10%) seront dans un premier temps maintenues. Le sixième paquet de sanctions économiques et financières annoncé le 4 mai par la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen a été, sous ces conditions, partiellement adopté.
«Obliger l'UE à signer davantage de chèques»
Et après? «Les autorités hongroises ont compris le bénéfice direct qu'elles peuvent tirer des sanctions, poursuit notre interlocuteur. Pour l'heure, Budapest va pouvoir continuer d'accéder au pétrole russe. Et avant d'accepter à moyen terme de couper le robinet, Viktor Orban compte bien obliger l'UE à lui signer davantage de chèques.» La preuve ? Le premier ministre hongrois s'est bien gardé, dans un message adressé par vidéo à ses compatriotes mardi matin, de rappeler que la poursuite des importations de pétrole russe par son pays est temporaire. Origo, un site d'information proche du parti au pouvoir, a même applaudi d'un: «Viktor Orbán a une fois de plus réussi à protéger les intérêts hongrois à Bruxelles»
Présent à l'université de Genève lundi 30 mai pour une journée d'étude consacrée à la Conférence sur l'avenir de l'Europe qui s'est achevée le 9 mai, l'eurodéputé Vert allemand Daniel Freund confirme: «La crise en Ukraine est une occasion que certains gouvernements européens entendent bien utiliser pour faire prévaloir leurs vues. La Hongrie, comme la Pologne (qui soutient l'embargo pétrolier), vont évidemment profiter de la rupture annoncée des importations énergétiques russes pour exiger davantage d'aides européennes à la construction de nouvelles infrastructures.»
Viktor Orban veut ses 7 milliards d'euros
La discussion de lundi soir, à Bruxelles, l'a confirmé. Après avoir bataillé pour que le pétrole russe acheminé par oléoduc - essentiel pour la Hongrie, dont 80% du gaz vient par ailleurs de Russie - ne soit pas concerné par un embargo européen, Viktor Orban s'est empressé de rappeler à ses homologues qu'il attend toujours le déblocage des 7 milliards d'euros prévus dans le cadre du plan «Nextgeneration EU» et bloqués en raison des atteintes présumées à l'État de droit dans son pays. Le prix de son vote, indispensable en raison de la règle de l'unanimité? Oui. «Ces sanctions sont indispensables mais elles vont, mécaniquement, coûter de plus en plus cher à l'Union. Il faut y être préparé», juge l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, lui aussi présent à Genève.
Boycotter à terme les hydrocarbures russes a un coût pour l'UE: celui, immédiat, des pannes d'électricité dues à l'interruption des importations de gaz comme en Finlande ces jours-ci ou bientôt aux Pays-Bas - également menacés de rétorsion par Vladimir Poutine - et celui, indirect, de la transition énergétique qui doit s'accélérer dans les pays les plus dépendants.
En conflit avec la Commission européenne pour atteintes à l'État de droit, la Hongrie, tout comme la Pologne, a donc maintenant l'argument idéal pour demander que Bruxelles démarre au plus tôt les investissements indispensables pour baisser ses émissions de gaz à effet de serre. «On ne va pas pouvoir dire non. C'est intenable. Le Kremlin le sait. Poutine mise sur notre réticences à signer des chèques pour Budapest et Varsovie.»
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«Osons les mots, reprend l'eurodéputé Daniel Freund. Il va falloir un peu 'acheter' l'accord de ces deux pays-membres.» Une transaction qui risque de coûter très cher à l'Union européenne, alors que l'économie du continent paie déjà cash les conséquences des sanctions contre la Russie et le renchérissement des prix de l'énergie.