«Nous ne sommes pas les bienvenus»
La Hongrie, terre d'accueil inconfortable pour les Ukrainiens

Kristina Novytska, venue de Kiev, a débarqué à Budapest une semaine après l'invasion russe. Elle n'a qu'une hâte: repartir de Hongrie, où le dirigeant Viktor Orban se garde de tout soutien franc à l'Ukraine, à rebours de l'unanimité européenne.
Publié: 22.05.2022 à 08:21 heures
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Dernière mise à jour: 22.05.2022 à 09:11 heures
Les ONG pointent l'impact de la politique menée par le dirigeant de la Hongrie Viktor Orban. (Ici le 19 mai 2022 à Budapest)
Photo: AFP

«J'aime le pays, ses habitants, mais j'ai vu ce que le gouvernement pense de nous», confie la créatrice de mode de 39 ans, rencontrée par l'AFP au «Workshop», un centre de réfugiés ouvert par un habitant de la capitale.

Au fil de son périple de 2000 km avec sa fillette de deux ans, via la Moldavie et la Roumanie, Kristina Novytska raconte la solidarité, jusqu'à l'arrivée à la frontière hongroise. «Nous n'avons pas eu droit à un seul sourire des gardes», dit-elle, en espérant pouvoir rejoindre bientôt une destination plus accueillante.

Depuis le début du conflit, le premier ministre hongrois nationaliste, ouvertement anti-migrants, mais prêt à soutenir ceux en détresse à ses portes, n'a de cesse de vanter l'hospitalité offerte aux centaines de milliers de réfugiés ukrainiens - plus de 620'000 ont été recensés au total, selon l'ONU.

Séjour express

La plupart, toutefois, repartent vite: seuls 20'000 d'entre eux ont réclamé un statut de «protection temporaire», leur donnant accès au service de santé, d'après les données officielles.

Dans le vaste centre «BOK» géré par l'Etat à Budapest, les bénévoles s'ennuient. Parmi les rares réfugiés, Anna Chumak compte repartir dès le lendemain «vers l'Allemagne puis le Canada», où elle a «de la famille».

La présence de proches, la langue, les perspectives de travail sont un facteur clé dans le choix du pays où refaire sa vie, notent les ONG. Mais comme Kristina Novytska, Anya Yelina évoque l'impression de ne pas être bienvenue: «les Ukrainiens se sentent mal à l'aise ici», explique cette danseuse chorégraphe originaire de Kiev.

«Le problème est que Viktor Orban est prorusse et les réfugiés parlent constamment du fait qu'il n'a pas envie d'aider l'Ukraine», affirme la jeune femme de 25 ans, qui a retrouvé son frère à Budapest et veut retourner sur sa terre natale «dès que possible».

Passe d'armes avec Zelensky

En douze ans de pouvoir, Viktor Orban s'est rapproché du maître du Kremlin, Vladimir Poutine. Si depuis le début du conflit, il a voté les sanctions aux côtés de ses partenaires de l'UE, il a pris soin de «rester en dehors» de la guerre: refus de livrer des armes à l'Ukraine, blocage du projet européen d'embargo sur le pétrole russe. Le responsable de 58 ans cultive sa différence.

Il s'en est même pris verbalement au président ukrainien Volodymyr Zelensky, tandis que ce dernier lui a demandé de «choisir son champ». Les médias favorables au pouvoir participent à ce climat en minimisant les atrocités de la guerre en Ukraine et reprenant la ligne du Kremlin.

Résultat, les sondages montrent le peu d'empathie du public pour le sort des Ukrainiens. D'ailleurs, à la différence de la Pologne ou de la République tchèque, aucune manifestation d'ampleur aux couleurs jaune et bleu n'a eu lieu à Budapest.

Système d'asile en déliquescence

La guerre ravive en réalité de vieilles querelles entre Kiev et Budapest, qui dénonce depuis plusieurs années des discriminations et une assimilation linguistique forcée de la diaspora hongroise en Ukraine.

Au-delà de ces tensions, les ONG pointent l'impact de la politique menée par Viktor Orban ces dernières années. Sous son égide, la Hongrie s'est repliée sur elle-même, bâtissant des barrières à ses frontières, refoulant les migrants et restreignant le dépôt des demandes d'asile aux ambassades à l'étranger.

Certes, les portes sont ouvertes au nord-est pour les Ukrainiens et les règles ont été assouplies pour eux, mais au sud, l'accès depuis la Serbie et la Croatie reste clos.

Le système d'asile a été «démoli» pour dissuader les réfugiés de venir, relève Aniko Bakonyi, du comité hongrois d'Helsinki (HCC). «L'expertise, dont disposaient, par exemple, le personnel d'immigration ou les interprètes, a disparu».

Or, les réfugiés «ont besoin de se projeter, il leur faut toute une panoplie de services pour les aider à s'intégrer et faire de la Hongrie leur nouvelle maison», conclut-elle.

(ATS)

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