Jusqu’où ira Viktor Orban? Le Premier ministre hongrois vient de démontrer, au sommet de l’OTAN à Washington, qu’il est prêt à confronter les 31 autres pays de l’Alliance. Il s’est en effet publiquement désolidarisé de l’attitude de la plus puissante coalition militaire mondiale à propos de la Chine. Et ce, après avoir confirmé qu’il se rendrait en Floride, sitôt finie la rencontre du 75e anniversaire de l’OTAN, pour y rencontrer Donald Trump dont il soutient ouvertement la réélection…
Orban est-il un cheval de Troie des dictatures au sein même du camp occidental? La question n’est pas nouvelle. L’homme fort de Budapest revendique de longue date d’être le dirigeant d’un régime «illibéral». Cette fois, la question posée ne porte toutefois pas sur sa gestion de la Hongrie, qu’il dirige depuis 2010. Elle porte sur sa fiabilité comme allié, dans une organisation qui vient à nouveau de débloquer 40 milliards de dollars d’aide militaire à l’Ukraine, ce pays voisin du sien dans lequel il se rend chaque année pour soutenir la minorité hongroise. Orban était à Kiev le 2 juillet. Il s’est ensuite rendu en Russie, puis en Chine. Il a parlé à chaque fois de paix, sans rien ramener de concret. Il n’avait d’ailleurs aucun mandat, ni de l’Union européenne, ni de l’OTAN.
Difficile néanmoins de ne pas s’interroger: et si Orban le trublion, prêt à assumer ses penchants autoritaires devant les médias, jouait un rôle officieux d’intermédiaire? Sans mandat clair, mais pas sans accord des alliés, et de Washington. On résume: puisque plus personne ne parle à Poutine, Orban peut s’avérer utile. Il connaît les cercles du pouvoir russe. Il sait, comme hongrois, ce que signifie la domination russe, même s’il n’était pas né au moment de l’intervention militaire soviétique à Budapest, en 1958 (il a 61 ans).
Présidence tournante de l’UE
Un élément plaide en faveur de ce scénario: le calendrier. Viktor Orbán assume depuis le 1er juillet la présidence semestrielle tournante du Conseil de l’Union européenne. Or sur le plan communautaire, sa marge de manœuvre est limitée. Il n’a pas les moyens de faire débloquer les dix milliards d’euros de fonds structurels alloués à la Hongrie mais toujours bloqués pour cause de non-respect de l’État de droit. Il sait que sa présidence va être très occupée par les nominations au sein de la Commission et les auditions au Parlement de Strasbourg, dont la nouvelle législature ouvrira le 16 juillet. Alors, pourquoi ne pas explorer les possibles voies diplomatiques vis-à-vis de la Russie que l’Union, en tant que telle, ne peut pas tester?
La force de Viktor Orbán, vis-à-vis des 31 autres pays alliés de l’OTAN comme de ses 26 partenaires de l’UE, est qu’il tient un double discours. Son pays ne livre pas d’armes à l’Ukraine, mais deux grandes usines de production de munitions, détenues par le groupe allemand Rheinmetall (bien connu en Suisse) vont bientôt ouvrir en Hongrie. Avec lui, tout est transactionnel. Il négocie pied à pied, comme le président turc Erdogan. «Orban est à la fois dangereux et utile», note un diplomate européen, joint au téléphone à Bruxelles.
Services de renseignement
Joe Biden ne lui en tient d’ailleurs pas rigueur. Le président américain estime que Viktor Orbán joue une partition solitaire, qui n’a pour l’heure rencontré aucun écho au sein de l’alliance. Et tous les services de renseignement occidentaux scrutent les investissements chinois en Hongrie. Le pays est en passe de devenir le second pays producteur de batteries électriques en Europe. Le constructeur chinois BYD doit y construire une usine capable de produire 200'000 voitures par an. «Ce n’est pas qu’un désavantage. Plus les Chinois investissent, plus ils seront obligés de rester sur ce marché européen et, donc, de s’acquitter des taxes qui vont avec», poursuit notre interlocuteur.
Orban guerrier pro-Poutine? Non, l’homme est un intermédiaire, au pis un mercenaire. Il peut donc être contrôlé. Le danger Orban, affirment ceux qui connaissent bien le dossier hongrois, reste pour l’heure contenu.