Soudés mais inquiets
A l'OTAN, les alliés Européens vont-ils dire stop à leur chef Joe Biden?

Le sommet du 75e anniversaire de l'OTAN, à Washington, devait être une démonstration de force aux côtés de l'Ukraine. Il se transforme en test politique pour Joe Biden, que de nombreux gouvernements européens n'estiment plus capable de mener l'alliance.
Publié: 10.07.2024 à 18:57 heures
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Le 75e anniversaire de l'OTAN doit être l'occasion d'une démonstration de force face à la Russie de Poutine
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Beaucoup le disent en privé. Des notes diplomatiques inquiètes circulent même entre les capitales européennes. Comment continuer de tenir l’Ukraine à bout de bras face à la Russie de Poutine si le commandant en chef de l’OTAN, Joe Biden, 81 ans, est de moins en moins capable de remplir sa mission? L’Alliance atlantique qui fête à Washington son 75e anniversaire est en effet tout, sauf une coalition d’égaux. La plus puissante armada militaire au monde n’a qu’un patron: le président des Etats-Unis d’Amérique. La preuve: le général commandant en chef suprême de l’alliance dirige aussi les forces américaines sur le continent européen.

Stoltenberg bientôt remplacé

Joe Biden pourrait-il faire face à une nouvelle crise fomentée par la Russie, ou par une autre puissance adversaire de l’OTAN? A la Maison-Blanche et au Pentagone, le siège du ministère américain de la Défense, mais aussi au QG de l’OTAN à Bruxelles, la réponse est affirmative. Pour Jens Stoltenberg, le secrétaire général norvégien de l’alliance qui sera bientôt remplacé par l’ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte, Joe Biden est parfaitement capable de donner les ordres indispensables, et de convaincre les 31 autres pays membres de l’alliance de le suivre. Problème: cette version n’est pas à toute épreuve. Tout le monde guette ainsi, à commencer par les dirigeants européens, la conférence de presse que doit donner jeudi à Washington le président des Etats-Unis.

De source diplomatique, deux points particuliers préoccupent en priorité les alliés, au sein desquels certains pays comme la Hongrie ou la Turquie, qui continuent d’entretenir des relations directes avec Vladimir Poutine. Le premier point est la capacité de Biden à résister à son propre lobby militaro-industriel. «Pour tous les vendeurs d’armes et de canons américains, Donald Trump est un meilleur candidat, car il s’emploiera à faire payer les alliés. On voit déjà des industriels de la défense nous dire, en coulisses, 'Biden est fini'» confie un général français, commentateur des questions géopolitiques.

Ligne directe avec Washington

Le second point est le risque de voir s’installer, en cas de crise, un fossé entre les deux côtés de l’Atlantique. Donald Trump n’a jamais fait mystère de son intention de juger avant tout les alliés au regard de leurs investissements dans la sécurité, et de leur volume d’achats d’armes «Made in USA». A quoi ressemblerait en revanche un second mandat de Joe Biden pour l’OTAN? «Pour des pays très alignés sur les États-Unis, comme l’Allemagne, la Pologne ou les pays baltes, avoir une ligne directe avec Washington est essentiel, nous confiait lors des cérémonies de commémoration du 6 juin 1944 le Général François Chauvancy, rédacteur en chef de la revue Défense. Que se passe-t-il si plus personne ne décroche le téléphone?»

La solution préconisée par plusieurs dirigeants européens est de parler franchement au «commander in chief». Mais aussi de faire remonter leurs inquiétudes par la chaîne de commandement et par leurs propres généraux. L’actuel SACEUR (Supreme Allied Commander Europe), soit le chef suprême des troupes de l’OTAN, est le général Christopher Cavoli. Il parle italien et français, avec des notions de russe. Il est diplômé de deux universités prestigieuses, Princeton et Yale. Il est un expert des questions de sécurité en Europe. Plusieurs de ses homologues des pays alliés l’ont récemment interrogé sur Joe Biden, mais aussi sur ceux qui pourraient le remplacer comme candidat du Parti démocrate.

Planification et stabilité

Car là aussi réside le problème: l’OTAN a besoin de planification et de stabilité. «Cette alliance est une organisation militaire très politique. Ce ne sont pas des généraux qui se rencontrent à Washington, mais des chefs d’Etat ou de gouvernement» indiquait récemment un haut responsable européen lors d’un passage à Paris.

D’où l’idée d’une «explication de texte», d’une confrontation directe entre dirigeants. Pour beaucoup, ce sommet de Washington, à un mois de la convention démocrate de Chicago, du 19 au 22 août, doit permettre d’évoquer «tous les sujets». Certains dirigeants de pays alliés ont demandé à leurs services de renseignement de plancher sur la question d’une possible déficience de Joe Biden réélu. Le Hongrois Viktor Orban, qui revient juste d’une visite surprise en Russie et en Chine, plaide ouvertement pour l’élection de Trump, ce qui agace la Maison-Blanche. Le risque est en effet qu’un Biden fragilisé, amoindri, rencontre de plus en plus de difficultés avec des interlocuteurs comme Orban ou Erdogan, toujours prêts à jouer sur les deux tableaux: l’OTAN pour leur propre sécurité, et le dialogue avec la Russie pour ménager leurs intérêts lucratifs commerciaux.

Ne pas détruire de l’intérieur

«Le problème, en matière de défense, est de savoir jusqu’où vous pouvez aller sans détruire de l’intérieur ce que vous vous efforcez de défendre de l’extérieur» avait coutume de dire le premier commandant en chef de l’OTAN lors de sa fondation en 1949, le général Dwight Eisenhower. Il fut élu ensuite président des États-Unis en 1952. Joe Biden devrait peut-être méditer cette devise.

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