Face aux alliés à Vilnius
Comment Volodymyr Zelensky est (presque) parvenu à imposer sa loi à l'OTAN

En une année et demi de guerre, le président ukrainien a réussi à convaincre l'OTAN que son pays ne doit pas perdre face à la Russie. Une prouesse politique, diplomatique et personnelle.
Publié: 10.07.2023 à 16:53 heures
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Dernière mise à jour: 10.07.2023 à 20:10 heures
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Le 15 juin 2023, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'adresse au Parlement suisse via une liaison vidéo depuis Kiev.
Photo: KARL-HEINZ HUG
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Richard WerlyJournaliste Blick

La plus puissante coalition militaire au monde est aujourd’hui à son service. Ou plus exactement au service de son pays, en lutte pour repousser l’agresseur russe.

Volodymyr Zelensky, 45 ans, a réussi l’extraordinaire prouesse de dompter l’OTAN, cette alliance crée en 1949 pour protéger le monde libre et le continent européen de la menace de l’ex-URSS. Bien sûr, l’Ukraine en guerre ne sera pas, lors du sommet qui se tient à Vilnius les 11 et 12 juillet, admise au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord, forte de 31 membres, plus la Suède, pays déjà accepté, invité, et encore empêché par la Turquie de devenir membre à part entière. Mais quel chemin parcouru par l’ex-acteur de la série TV «Serviteur du peuple», considéré avec suspicion par de nombreux pays occidentaux, jusqu’à ce que Vladimir Poutine lance son armée à l’assaut de Kiev, le 24 février 2022!

Pas besoin d’un taxi

L’histoire dira à quel moment le président ukrainien, élu le 21 avril 2019, a renversé la table de l’OTAN et convaincu ses partenaires. Est-ce cette phrase historique prononcée dans les premières heures de l’invasion, lorsqu’il répond, depuis son bunker présidentiel: «J’ai besoin de munitions antichars, pas d’un taxi»? Est-ce ce moment de vérité constitué, le 1er avril 2022, par la reconquête de Boutcha par l’armée ukrainienne, et l’accusation consécutive de «crimes de guerre» lancée et instruite contre la Russie? Ou est-ce, plus simplement, l’habileté d’un homme transformé par sa fonction, devenu en quelques jours un nouveau Winston Churchill face au mal totalitaire incarné par le maître du Kremlin?

Une réalité criante

Chaque mot peut prêter à contestation. Des observateurs du conflit continuent de voir avant tout dans Zelensky un «maître de la communication», qui n’a pas son pareil pour servir à ses alliés occidentaux et à leur opinion publique le discours adéquat. La réalité est en tout cas criante. Son pays est aujourd’hui la raison d’être de l’OTAN. «L’Ukraine a souvent répété qu’elle mène la guerre de l’Occident contre l’expansionnisme russe, qu’elle a affaibli le principal adversaire de l’OTAN en Europe, et qu’elle avait donc un intérêt moral à bénéficier des garanties de défense dont jouissent les états de l’OTAN», justifie l’analyste Fareed Zakaria sur la chaîne américaine CNN. Au point qu’aujourd’hui, plus personne ne le conteste.

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Le style Zelensky a fait le reste. Plus qu’un style: une posture. A Vilnius où il est attendu mardi, le chef de l’État ukrainien participera au conseil OTAN- Ukraine dans sa tenue kaki habituelle de président-soldat. Un bon résumé du rapport qu’il entretient avec l’Alliance, capable d’aligner s’il le faut jusqu’à 900'000 soldats, dont 120'000 prêts au combat. Aucun de ses homologues, dont les pays membres sont tous liés par l’article 5 de défense mutuelle, ne peut rivaliser avec lui sur ce terrain militaire.

«Quand Zelensky parle de canons, de tanks, d’avions, il cite des cas précis. Il donne le témoignage d’artilleurs. Il lui est même arrivé de joindre avec son téléphone, devant les alliés, des chefs de brigade de l’armée ukrainienne pour qu’ils témoignent en direct», raconte un général britannique en poste au Shape, le QG de l’OTAN situé à Mons (Belgique). Zelensky subit chaque jour l’épreuve du feu. Sa capitale, Kiev, est quotidiennement vidée par des missiles russes. Il a plusieurs fois risqué sa vie. Des forces spéciales russes l’ont traqué à la demande personnelle de Vladimir Poutine. Impossible, pour les 31 dirigeants de l’OTAN, de ne pas l’écouter lorsqu’il parle de morts, de blessés, de calibre des obus, de blindages percés, de survol de drones.

Il a su attendre et graduer les demandes

L’autre force de Volodymyr Zelensky est d’avoir su attendre et graduer les demandes, en rappelant sans cesse à ses interlocuteurs de l’OTAN que l’engrenage de l’horreur dans lequel l’Ukraine se retrouve pris est le résultat de la promesse non tenue de l’Alliance. Flash-Back: le 3 avril 2008 à Bucarest (Roumanie), le sommet de l’OTAN s’achève par une déclaration à la fois claire et ambiguë. «L’OTAN, peut-on lire alors, se félicite des aspirations euroatlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance. Aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN […] Nous allons maintenant entrer dans une période de collaboration intensive avec l’un et l’autre à un niveau politique élevé afin de résoudre les questions en suspens.»

Clair sur l’objectif. Ambigu sur les modalités et le calendrier. Un chiffon rouge agité devant la Russie où Vladimir Poutine vient juste de céder sa place à son Premier ministre, Dmitri Medvedev. Le président des États-Unis de l’époque est Georges W. Bush. Nicolas Sarkozy vient d’être élu à Paris. Ironie du calendrier: l’acteur comique Zelensky vit à ce moment-là à Moscou. Il profite de son succès réel auprès du public russe. Loin, bien loin des arsenaux occidentaux dont il a aujourd’hui cruellement besoin.

Kissinger pour l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN

L’épisode qui va se jouer à Vilnius ne sera pas le dernier. Mais pour Volodymyr Zelensky, fêté comme un héros dans la capitale lituanienne parée de drapeaux ukrainiens, l’affaire est entendue. Plus personne, au sein de l’Alliance, n’imagine laisser l’Ukraine de côté. Même Henry Kissinger, vétéran centenaire de la géopolitique mondiale, recommande son adhésion, jugée pour l’heure impossible, vu que le pays est en guerre.

Joe Biden, sous forte pression, doit donc temporiser, tout en prenant des risques, comme il vient de le faire en acceptant de livrer des obus à sous-munitions, interdits dans les armées européennes et prohibés par la convention de 2008, que les États-Unis, comme la Russie, n’ont pas signés. L’OTAN sait par ailleurs qu’il ne lui sera pas possible de retenir encore longtemps les livraisons d’avions F16 à Kiev. Au sommet de Vilnius, les sessions qui se tiendront sans Volodymyr Zelensky, entre alliés, seront, paradoxalement, les moins importantes. La plus puissante coalition militaire du monde est, dans les faits, au garde-à-vous. Logique: le président ukrainien est aujourd’hui son «combattant en chef».

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