Discorde avant le sommet à Lugano
Zelensky tente-t-il de se débarrasser des partis d'opposition en Ukraine?

La semaine prochaine, la reconstruction de l'Ukraine sera discutée depuis Lugano, lors d'un sommet international. Mais selon les informations de Blick, l'unité du parlement du pays s'effriterait. Zelensky profite-t-il de la guerre pour tirer la couverture à lui?
Publié: 30.06.2022 à 06:15 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2022 à 10:43 heures
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Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, mène son pays face à l'invasion russe.
Photo: EPA
Fabienne Kinzelmann et Olha Petriv

Tous ensemble contre Poutine. C’était le mot d’ordre il y a quatre mois, lorsque la guerre en Ukraine a commencé. Mais désormais, l’harmonie entres les différents partis politiques du Parlement ukrainien appartient au passé. Au cœur de la discorde: le sommet sur la question ukrainienne les 4 et 5 juillet prochain en Suisse. Le parti au pouvoir, le SN (centre, dont le nom signifie «Serviteur du peuple»), souhaiterait exclure l’opposition des discussions. C’est ce que révèlent les recherches de Blick.

«Le parti de Zelensky ne comptait envoyer que ses propres députés à Lugano», explique à Blick une politicienne de la Verkhovna Rada, le Parlement ukrainien. Cela n’a été révélé qu’il y a environ deux semaines, lorsque la composition de la délégation devait être confirmée par un comité interpartis. «Nous n’avons appris la nouvelle qu’en voyant la liste», raconte une autre parlementaire. La situation a alors dégénéré. La commission des affaires étrangères a tenu tête au parti au pouvoir jusqu’à ce que ce dernier autorise quatre autres groupes à envoyer un représentant.

Forte présence du parti de Zelensky

Plusieurs autres députés confirment l’incident. Par crainte d’être sanctionnés par le parti au pouvoir et d’être exclus de futurs voyages, ils souhaitent rester anonymes. Blick dispose en outre de la liste des députés ukrainiens participant à l’Ukraine Recovery Conference (URC2022) de Lugano.

Outre 21 députés du parti de Zelensky, un député ou une députée de chacun des groupes parlementaires YeS (centre-droite), Holos (centre-droite) et Batkivshchyna (centre-droite) pourra se rendre en Suisse. En outre, une personne de l'OPZZh (centre), qui soutient le parti au pouvoir au Parlement, pourra se joindre à la délégation. Le groupe olitique de Zelensky envoie ainsi plus de sept fois plus de députés à Lugano que les autres partis. Une proportion qui ne reflète pas du tout la composition du parlement ukrainien.

Une trêve pas respectée?

L’opposition est en colère. Elle y voit une stratégie d'éviction. Après plusieurs «voyages communs réussis» au cours des deux premiers mois de la guerre, les députés de Zelensky excluraient de plus en plus leurs homologues des autres partis.

En témoigne également l’incident concernant l’ex-président ukrainien Petro Porochenko, qui a apparemment été arrêté à la frontière le 28 mai alors qu’il se rendait à une réunion de l’OTAN en Lituanie. L’ancien chef d’État, qui siège aujourd’hui au Parlement au nom du parti proeuropéen YeS qu’il a fondé, a alors accusé le gouvernement de ne pas respecter sa parole. Lorsque l’armée de Poutine est entrée sur le territoire ukrainien, les forces pro-russes ont été bannies du Parlement et les autres partis sont tombés d’accord sur une «trêve politique» – un accord tacite pour mettre de côté les divergences de politique intérieure dans la lutte commune contre l’ennemi.

L’opposition accuse Zelensky de jeux de pouvoir

Les députés de l’opposition au Parlement se sentent marginalisés. Ils reprochent à Zelensky et à son parti de profiter de la guerre pour renforcer leur propre pouvoir. Selon une parlementaire avec laquelle Blick s’est entretenu, cette stratégie concerne également le contenu diffusé à la télévision, qui est contrôlé par le gouvernement depuis le début de la guerre: «Les députés qui ne sont pas membres du parti au pouvoir ne sont plus représentés au sein la principale source d’information du public. Celui qui regarde a l’impression qu’il n’y a plus que le président, son équipe et son parti qui se battent pour l’Ukraine et veulent sauver le pays.»

Le parti au pouvoir dément. «La liste de la délégation pour Lugano est équilibrée et nous coopérons étroitement avec l’opposition durant cette période de défis», déclare à Blick Maria Mezentseva, députée du SN et vice-présidente de la commission pour l’intégration européenne.

La parlementaire souligne qu’elle a elle-même participé à de nombreux voyages interpartis. «Nous faisons toujours attention à la répartition entre les partis. Nous sommes perçus comme la 'Team Ukraine' et personne ne veut changer cela. Mais nous sommes le plus grand parti, nous envoyons donc naturellement plus de députés.»

C’est un point que l’opposition critique également, car le parti de Zelensky, fondé en 2018 seulement, est principalement composé de novices en politique. «À Lugano, il s’agit de l’économie de l’Ukraine et de la reconstruction, pas de la politique du parti. Il faut une expertise dans les domaines qui sont à reconstruire», souligne une députée. Elle loue le SN pour son élan au début de la guerre et sa «fantastique communication». Mais la députée doute que les membres du parti de Zelensky soient suffisamment expérimentés pour la phase à venir.

Un sommet «décisif» pour l’avenir de l’Ukraine

«Nous devons maintenant simultanément vaincre les Russes et sauver le pays de l’effondrement économique. L’économie doit fonctionner, les systèmes sociaux doivent fonctionner et nous devons reconstruire des régions entières. Si nous ne faisons pas cela bien et vite, les gens ne reviendront pas et nous perdrons une grande partie de la population, qui restera installée dans d’autres pays», détaille la même politicienne, qui a elle-même déjà occupé plusieurs postes de direction dans des ministères et des services publics.

Elle et d’autres députés craignent en outre que le sommet à Lugano n’ait pour résultat que de «l’argent facile» pour l’Ukraine. Ils critiquent le changement de nom de la conférence organisée par la Suisse, qui passe de «Reform Conference» à «Recovery Conference». «Il semblerait que l’agenda des réformes ne joue plus aucun rôle. Pourtant, nous en avons besoin comme fil rouge pour la reconstruction», déplore une politicienne qui s’est engagée à se rapprocher de l’UE. «Je suis sûre à 100% que nous gagnerons cette guerre. C’est tout ce qui vient après qui m’inquiète», avance une autre femme politique ukrainienne.

Le sommet ukrainien de Lugano pourrait être décisif pour faire avancer le pays sur le plan économique, mais aussi social et politique. Cependant, les députés de l’opposition ont eu accès à très peu d’informations sur les enjeux de cette rencontre internationale. Cette dernière serait principalement orchestrée par le gouvernement de Volodymyr Zelensky, qui n’a que peu d’intérêt à collaborer.

(Adaptation par Jessica Chautems)

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