Un scandale de corruption secoue Bruxelles. Il est question de paiements et de cadeaux du Qatar à des parlementaires de l'Union européenne, d'influence sur des décisions politiques et économiques. Il s'agissait apparemment pour l'Etat du Golfe de redorer son image avant la Coupe du monde de football.
Seize perquisitions ont eu lieu vendredi, cinq personnes ont été arrêtées, dont Eva Kaili, vice-présidente du Parlement. Près de 600'000 euros en liquide ont été saisis. Le quotidien italien «La Repubblica» écrit que des «sacs de billets» ont été trouvés au domicile de la Grecque.
Ce qui expliquerait aussi pourquoi Eva Kaili est derrière les barreaux malgré son immunité parlementaire. Selon le règlement du Parlement européen, l'immunité devient caduque en cas de «flagrant délit». Eva Kaili est membre du Mouvement socialiste panhellénique (Pasok). Elle a été immédiatement exclue de ce parti. Son compagnon et collaborateur du Parlement européen Francesco Giorgi est lui aussi en prison. On saura ce dimanche si ces deux personnes et d'autres suspects y resteront.
Le syndicaliste en chef arrêté
Les autres personnes arrêtées sont Luca Visentini, le plus haut représentant des travailleurs au monde. Il est secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, qui compte plus de 200 millions de membres.
Jusqu'au mois dernier, Luca Visentini était également secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats - et n'était pas inconnu dans notre pays. Il a été cité à plusieurs reprises pour avoir fait l'éloge de la protection salariale en Suisse. En toile de fond, il y a le conflit sur l'accord-cadre avec l'UE. Il a déjà été retransmis en direct à Zurich pour les discours du 1er mai.
L'ancien député européen Pier Antonio Panzeri est aussi en détention provisoire. Ce social-démocrate italien est à la tête de l'organisation non gouvernementale Fight Impunity, qui lutte contre les violations des droits de l'homme.
Ce sont donc des syndicalistes et des fonctionnaires d'ONG qui ont été approchés pour corriger l'image désastreuse du Qatar, qui a bafoué les droits des travailleurs migrants. «Si les reproches sont confirmés, si l'on a effectivement tenté d'acheter le Parlement européen, ce serait le plus grand scandale que ce Parlement ait jamais connu», déclare Daniel Freund à Blick. Le politicien vert allemand est le président du groupe de travail anti-corruption du Parlement européen.
Des louanges incongrues pour le Qatar
Selon lui, leur dernière réunion, qui devait porter sur une résolution concernant le Qatar, apparaît désormais sous un jour tout à fait nouveau. «Normalement, les sociaux-démocrates sont de notre côté, mais il y a eu ce discours étrange de Mme Kaili», glisse Daniel Freund.
Il y a quelques jours, Eva Kaili avait défendu au Parlement les progrès réalisés par le pays du Golfe en matière de législation, évoquant le renforcement des droits des travailleurs et l'augmentation du salaire minimum. Selon elle, la Coupe du monde est la preuve que la diplomatie sportive peut «réaliser la transformation historique d'un pays».
Eva Kaili s'est rendue à Doha juste avant le coup d'envoi de la Coupe du monde de football et y a rencontré l'émir de l'État du désert. Elle a ensuite déploré que tous ceux qui s'adressent aux Qataris soient immédiatement soupçonnés de corruption. Dans son cas, il semble que ce soit plus qu'un simple soupçon.
Lundi, un vote sur l'assouplissement des conditions d'obtention des visas pour les Qataris est à l'ordre du jour au Parlement européen. Mais «il est impossible de voter sur ce sujet maintenant!», estime Daniel Freund. Au lieu de cela, les Verts, les élus de droite et de gauche demandent un débat spécial centré sur ce scandale.
«Les réunions doivent être rendues transparentes»
L'influence des gouvernements non-européens sur Bruxelles n'est pas un problème nouveau. «Les pays tiers doivent figurer dans le registre des lobbies, les réunions doivent être rendues transparentes», tonne Daniel Freund. Selon lui, les cadeaux et les voyages de luxe offerts aux parlementaires sont autorisés, à condition que les bénéficiaires révèlent ce qu'ils reçoivent.
«Je parle de repas dans des restaurants étoilés Michelin, de vols en première classe, d'hôtels cinq étoiles», précise encore Daniel Freund. Il existe des règles strictes pour que des entreprises comme Apple ou Volkswagen se présentent au Parlement européen, mais pourtant en parallèle: «Les représentants de pays tiers peuvent simplement entrer avec un badge. Parce qu'il s'agit officiellement de relations diplomatiques et non de lobbying», s'indigne Daniel Freund.
«Tout cela est très grave pour le Parlement européen, même si peu de personnes sont concernées», évalue Tomas Miglierina, correspondant de la RSI à Bruxelles, à la demande de Blick. Selon lui, les députés traversent déjà des moments difficiles et ont mauvaise presse avec le Brexit, la pandémie de Covid-19, le fonds de reconstruction et la guerre en Ukraine. «Et maintenant ceci!, assène-t-il. Le Parlement européen a un sérieux problème de réputation.»
(Adaptation par Lliana Doudot)