Vladimir Poutine s'est félicité vendredi de la venue au Kremlin du Premier ministre hongrois pour parler de l'Ukraine, voyant en Viktor Orban, le représentant de l'UE malgré les dénégations de Bruxelles. «Je comprends que cette fois-ci, vous êtes venu non seulement en tant que partenaire de longue date, mais aussi en tant que président du Conseil» de l'UE, a dit M. Poutine.
«Je m'attends à ce que vous me fassiez part de votre position (sur l'Ukraine) et de celle des partenaires européens», a-t-il ajouté, alors que l'UE a d'ores et déjà dit que M. Orban n'avait pas de mandat européen. Trois jours après son premier déplacement à Kiev depuis le début de l'offensive russe en février 2022, le dirigeant nationaliste hongrois s'est rendu à Moscou «dans le cadre de sa mission de paix», selon le gouvernement hongrois.
«Pas d'accord sur l'Ukraine sans l'Ukraine»
«Le nombre de pays qui peuvent parler aux deux camps de la guerre diminue. La Hongrie devient peu à peu le seul pays d'Europe à pouvoir parler à tout le monde», a dit M. Orban à M. Poutine. Selon le Kremlin, Budapest a proposé cette visite mercredi, soit au lendemain de la venue du Premier ministre hongrois en Ukraine, pays avec lequel il entretient des relations difficiles du fait notamment de ses prises de position pro-russes.
Kiev a donc fustigé cette visite à Moscou qui a été décidée «sans aucun accord ou coordination avec l'Ukraine». «Nous rappelons que pour notre pays, le principe 'pas d'accord sur l'Ukraine sans l'Ukraine' reste inviolable», a martelé la diplomatie ukrainienne.
Demande russe de capitulation
Le président russe a lui rappelé avoir exposé en juin ses conditions pour une paix en Ukraine: que celle-ci lui cède les quatre régions ukrainiennes dont Moscou revendique l'annexion, en plus de la Crimée, et renonce à son alliance avec l'Occident. De facto une demande de capitulation. Orban, lors de sa visite à Kiev, avait jugé, lui, que l'Ukraine devait accepter un cessez-le-feu, une position balayée par les Occidentaux et Ukrainiens. L'Ukraine réclame une «paix juste» qui passe par le retrait des troupes russes et le respect de son intégrité territoriale.
«Vous étiez à Kiev récemment. Vous êtes venu ici pour discuter de toutes les nuances existantes dans le dossier ukrainien», a relevé vendredi M. Poutine dans son entretien avec Viktor Orban. Mais pour l'UE, qui a coupé les ponts avec Moscou et sanctionné durement la Russie, Orban, dont le pays assure depuis le 1er juillet la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne, n'est pas son représentant à Moscou pour cette visite, et n'est pas habilité à parler de l'Ukraine en son nom. Selon le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, Viktor Orban «ne représente donc pas l'UE, en aucune manière».
«Viktor Orban ne représente pas l'Otan»
Charles Michel, le président du Conseil européen, qui rassemble les dirigeants des Vingt-Sept, avait réagi dès jeudi soir à l'annonce non officielle de ce déplacement. «La présidence tournante de l'UE n'a pas de mandat pour engager le dialogue avec la Russie au nom de l'UE», a écrit Michel sur X, insistant que pour les 27 «la Russie est l'agresseur, l'Ukraine est la victime"et qu'"aucune discussion ne peut avoir lieu sans l'Ukraine.»
La solidarité de l'UE envers l'Ukraine ne faiblira pas, a assuré de son côté le chancelier allemand Olaf Scholz. A quelques jours d'un sommet de l'Otan à Washington où il sera largement question d'Ukraine, et alors que cette visite risque de brouiller les positions, le secrétaire général Jens Soltenberg a insisté sur le fait que «Viktor Orban ne représente pas l'Otan à ces rencontres, il représente son propre pays», soulignant toutefois, sans plus de détails, que l'Otan avait été «informée» de ce déplacement.
«Au service de Dieu»
Le dirigeant hongrois défend depuis le début de l'assaut de la Russie contre l'Ukraine une position indulgente à l'égard de Moscou, suscitant l'ire des Européens. Avant son départ de Budapest, il s'est dit être en mission pour la paix.
«La Hongrie n'a pas le mandat ni le poids politique international (...) mais nous pouvons être un instrument au service de Dieu et de ceux qui veulent la paix», a-t-il dit, des propos tenus vendredi avant la confirmation de son voyage à Moscou. La présidence tournante au sein de l'UE, qu'assure la Hongrie jusqu'à la fin de l'année, permet au pays qui la détient de contrôler l'agenda des réunions des 27, à l'exception de celles des ministres des Affaires étrangères, un pouvoir non négligeable mais pas absolu, selon plusieurs diplomates européens.
Budapest avait promis d'assurer une présidence «normale», malgré les nombreux différends, notamment sur la Russie, qui l'oppose à ses partenaires. «Nous agirons en tant que médiateur impartial», avait affirmé le ministre des Affaires européennes Janos Boka, avant d'ajouter que la Hongrie en profitera pour mettre en avant sa «vision de l'Europe» et «redresser la barre (...) dans la bonne direction».