Le cinéma français va-t-il connaître un séisme #metoo, version Depardieu? Le dernier géant du grand écran français, âgé de 74 ans et surtout connu ces temps-ci pour son soutien à la Russie de Vladimir Poutine, est en tout cas présenté sous un jour très sombre par une longue enquête accusatrice de Mediapart.
Publiés mardi soir 11 avril, plusieurs articles du site d’information relaient de graves accusations portées contre l’acteur emblématique des «Valseuses» (1974) et de «Cyrano de Bergerac» (1990), présenté comme un homme qui se permettrait le pire avec ses partenaires féminines de tournage. L’une des actrices affirme l’avoir entendu entrer sur un plateau en affirmant: «Ça sent la chatte ici.» Une autre l’accuse «d’avoir essayé d’écarter ma culotte et de me doigter».
Le contenu de l’article a entraîné un démenti cinglant de l’acteur: Gérard Depardieu «dément formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale», a répondu son avocat à Mediapart. Funeste coïncidence, le principal défenseur de l’acteur, l’avocat Hervé Témime (qui défendit aussi la banque suisse UBS en appel durant son procès pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale) est brutalement décédé le 10 avril à 65 ans.
Pas une complète surprise
Qu’un scandale sexuel mette en cause Gérard Depardieu n’est pas une complète surprise. Depuis plusieurs années, le comédien est ciblé par des femmes l’accusant de les avoir harcelés. Comme l’actrice Charlotte Arnould, qui affirme avoir été violée en 2018 au domicile parisien du lauréat de deux Césars du meilleur acteur (en 1981 pour son rôle dans «Le dernier métro» de François Truffaut, et en 1990 pour «Cyrano» de Jean-Paul Rappeneau).
Cette dernière a déposé plainte, entraînant la mise en examen de Gérard Depardieu en décembre 2020 révélée par l’AFP en février 2022. «La chambre de l’instruction considère qu’il existe, à ce stade, des indices graves ou concordants qui justifient cette mise en examen», avait alors justifié Rémy Heitz, procureur de Paris, dans un communiqué. Ce dossier reste en attente d’un éventuel procès.
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Dans l’enquête à charge de Mediapart, que l’avocat de Depardieu a qualifié de «réquisitoire», le comportement de la star du cinéma français est présenté comme accablant vis-à-vis des femmes. Avec, comme paravent, sa célébrité et son rôle déterminant dans le financement des films pour lesquels il accepte de jouer: «C’est un immense acteur. Et à ce jour, il n’a pas été condamné par la justice. On peut se demander: suis-je légitime pour décréter qu’il est coupable et qu’il ne doit plus travailler?», interroge un producteur.
Le contexte des accusations
Il explique aussi le contexte de ces accusations et de la réticence des réalisateurs à intervenir: «Le problème est en amont. Est-ce qu’il faut l’embaucher? Car une fois qu’il est à bord, comme n’importe quel rôle principal, on pourrait difficilement le virer s’il avait des problèmes. Il n’est pas un simple pion qu’on pourrait remplacer, il est le pivot du film et le financement peut être monté sur son nom.»
L’article cite aussi des cas où Gérard Depardieu, rappelé à l’ordre, a aussitôt changé de comportement. «Il s’est arrêté net, tout penaud, comme un enfant qui aurait fait une bêtise», cite l’un d’entre eux. Preuve, peut-être, que de nombreux abus de langage ou de comportements auraient pu être évités.
Au-delà de l’affaire Depardieu
L’éditorial de Mediapart va plus loin que l’affaire Depardieu. Il met en cause un silence collectif. Tout comme cela s’est passé pour l’ancienne vedette du «20 heures» Patrick Poivre d'Arvor, visé lui aussi par plusieurs plaintes relatées par Mediapart.
«Enquêter sur le comportement avec les femmes de Gérard Depardieu, c’est mener une enquête inaudible, écrit la journaliste Marine Turchi. Les agissements de l’acteur sont tantôt passés sous silence, tantôt banalisés ou tournés en dérision. Alors même qu’ils sont, pour partie, déjà publics. Main aux fesses, baiser par surprise, propos sexuels, injures à connotation sexuelle: il suffit de parcourir les articles, interviews, vidéos et livres concernant l’acteur pour découvrir que certaines mises en cause sont, depuis longtemps, sous nos yeux.»
Monstre sacré
«Malgré cette longue série d’éléments publics, dans une partie des médias et du monde du cinéma, c’est comme si ces témoignages n’existaient pas, conclut Mediapart. […] À chaque fois, il est reçu avec les honneurs, présenté comme un invité 'exceptionnel', 'le plus grand acteur', un 'monstre sacré', et jamais questionné sur l’affaire ou sur son comportement avec les femmes.»
Une liste d’accusations qui amène à revisiter aussi, en 2023, certains films de l’acteur, fruits de leur époque. Tel celui qui le révéla en 1974: «Les Valseuses», de Bertrand Blier, dans ces années 1970 de libération sexuelle. On se souvient de sa réplique souvent citée, aux côtés de Patrick Dewaere et de l’actrice Miou-Miou: «On n’est pas bien là? Paisibles, à la fraîche. Décontractés du gland.»