C’est un assaut législatif et politique. Dans une France où les thèmes d’actualité sont de plus en plus favorables à la droitisation de l’opinion (sécurité, immigration, ordre public avant les JO d’été 2024…), l’écriture inclusive fait un bouc émissaire idéal pour les conservateurs de tous bords.
Haro, donc, sur les formules décriées telles que «tous.tes», «iel» ou «elleux»! Une proposition de loi adoptée lundi 30 octobre par le Sénat français envisage de proscrire l’usage de ce nouveau mode d’écriture de la langue de Molière dans toute une série de documents administratifs ou techniques, allant des actes juridiques aux contrats de travail, en passant par les notices d’utilisation ou les annonces de vente.
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La coïncidence des dates en dit long. Pile le même jour, Emmanuel Macron inaugurait à Villers-Cotterêts (Aisne) la nouvelle Cité internationale de la langue française, dans un château dont la rénovation a coûté 200 millions d’euros. Pourquoi ce château, ex-relais de chasse du roi François 1er au XVIe siècle? Parce que c’est ici que ce monarque de la renaissance, vainqueur des Suisses à Marignan, signa en 1539 la première ordonnance imposa le français comme langue de la justice, à la place du latin.
La présence aux côtés du président du nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie française Amin Maalouf était logique, mais révélatrice. Ce romancier a plusieurs fois regretté «qu’on ne puisse pas lire un texte écrit en écriture inclusive». «Il y a une chose qui me dérange dans ce mode d’écriture, avait-il déclaré à la radio France Inter. C’est qu’à l’oral, elle ne veut plus rien dire […] Je ne pense pas que l’écriture inclusive soit la bonne réponse.»
Enjeu linguistique?
S’agit-il d’un enjeu linguistique? Emmanuel Macron visait-il seulement la pratique de la langue lorsqu’il a affirmé, à Villers-Cotterêts que «La langue française forge la nation et qu’il ne faut céder aux airs du temps» en ajoutant «des points au milieu des mots»? La réponse est non. L’écriture inclusive est, en France, un sujet très politique, tout comme en Suisse où ce combat mobilise l’UDC.
Six Français sur dix (58%), selon un sondage publié en juin 2023, pensent qu’il faut l’interdire à l’université. Mais attention, l’affaire n’est pas tranchée. Une autre enquête, publiée par l’IFOP, montre que personnes interrogées sont extrêmement partagés, et clivés en deux blocs quasi égaux.
Avec une majorité de femmes en faveur de l’écriture inclusive dans les documents officiels des organismes publics (59% contre 42% pour les hommes) ou dans les médias (53% contre 42%). Fait intéressant: les chiffres des sondés «hostiles» diminuent. Ils étaient 75%, en 2017, à se prononcer contre ce nouveau type d’écriture.
Chemin législatif
La proposition de loi du Sénat, dominé par la droite, ne fait que commencer son chemin législatif. Elle sera sans doute férocement combattue, à l’Assemblée nationale, par les députés de la France Insoumise (gauche radicale) et les écologistes. Motif: les sénateurs ont validé, avec leur vote, une conception idéologique de l’écriture inclusive. Il ne s’agit pas, selon eux, de tenir compte d’identités nouvelles via les modifications de la graphie et le recours au point médian. Ils y voient un marqueur «politique».
Pour mémoire, l’ex candidate à la présidentielle du Rassemblement national, Marine Le Pen, avait déjà défendu une proposition de loi similaire en 2020, en riposte à l’adoption de l’écriture inclusive par les écologistes dans la campagne pour les élections municipales.
L’ex-député des Français de Suisse Joachim Son-Forget s’y était associé. «Si l’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif qui doit être défendu de manière résolue, ce n’est pas en incluant dans la langue une visibilité accrue du féminin jusqu’à la rendre désunie, créant une confusion qui confine à l’illisibilité, que l’objectif sera atteint», expliquait alors le préambule du texte, jugeant qu’un «péril mortel» menace la langue française. Ce texte n’avait pas été suivi d’effets, faute de députés prêts à le voter.
Rapport des députés
Un rapport a depuis été préparé pour l’Assemblée nationale, avant que la proposition du Sénat ne soit débattue. «On nous change notre langue. Des militants, animés d’intentions parfois louables, mais aux conséquences ô combien funestes, entendent purger la langue française de la domination masculine qu’elle consacrerait, qu’elle promouvrait, qui s’y cacherait», peut-on lire en exergue de ce document.
Le texte du Sénat est moins drastique. Il prohibe surtout l’utilisation du point médian et le recours aux néologismes, comme les pronoms du type «iel». Les écologistes, mobilisés sur cette question, montent depuis au créneau: «la remarque d’Emmanuel Macron est irrespectueuse de notre histoire et de notre langue, juge la députée Sandra Regol. L’écriture inclusive permet plutôt de revenir à ce qui a été l’esprit de notre langue avant que quelques idéologues veuillent imprimer la suprématie des hommes sur les femmes», a-t-elle riposté sur France Info.