Manifestants en colère
Face à l'intransigeance du gouvernement, la tentation de la violence s'installe

Deux nouvelles dates de manifestations sont prévues en France contre la réforme des retraites: le 7 et le 11 février. Pas sûr que cette fois, si le gouvernement ne bouge pas, le risque de violence puisse être évité...
Publié: 01.02.2023 à 16:15 heures
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Dernière mise à jour: 07.02.2023 à 14:03 heures
La Première ministre française, Élisabeth Borne, incarne aujourd'hui l'intransigeance. Elle refuse d'envisager toute concession sur le report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une mesure dont les syndicats font un symbole.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est le scénario catastrophe que les syndicats français redoutent, après leur seconde journée réussie de mobilisation contre le projet de réforme des retraites. Mardi 31 janvier, entre 1,5 million et 2 millions de protestataires, selon les estimations, sont descendus dans les rues du pays pour dire «Non» au report à 64 ans (contre 62 actuellement) de l’âge légal de départ à la retraite. Au total, si l'on cumule avec la journée d’action du 19 janvier, plus de 3 millions de personnes ont déjà voté avec leurs pieds et leur voix contre cette réforme discutée depuis ce lundi à l’Assemblée nationale.

Rien ne bouge

Problème: rien ne bouge. À la tête du gouvernement, la Première ministre, Élisabeth Borne, a encore répété ce mercredi que le report à 64 ans «n’est plus négociable». Or le mouvement n’entend pas lâcher prise. Un appel à la grève et à manifester est lancé pour le 7 et le 11 février. Avec cette inquiétude: comment faire pour que la colère sociale ne dégénère pas en violence face à l’intransigeance de l’Exécutif et à sa volonté d’un débat parlementaire accéléré (50 jours maximum jusqu’au vote définitif du texte par les députés) ? En France, où ceux qui cassent sont souvent plus entendus que ceux qui négocient, la question taraude aujourd’hui tous les acteurs.

Casser? L’histoire a montré que cela marche au pays des révolutions de 1789, 1830, 1848 et des événements de mai 1968. A chaque fois, les barricades fleurirent dans Paris! «Une partie de la population bascule 'ailleurs', car elle a le sentiment d’être méprisée et rejetée», prévenait, dès l’élection présidentielle de 2022, le sociologue Michel Wieworka, auteur de «Métamorphose ou déchéance. Où va la France?» (Ed. Rue de Seine). «Une partie non négligeable de la population est aujourd’hui poussée au non-sens», reprenait-il.

Or ce constat commençait mardi à affleurer lors de la marche parisienne anti-réforme des retraites, qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes. Exemple avec Thomas, 28 ans, en fin de parcours universitaire: «S’il faut casser pour se faire entendre, on le fera. Macron n’est pas le seul à pouvoir passer en force.» Autre affirmation similaire chez Muriel, quinquagénaire citée mardi dans notre reportage: «C’est quand ça tape que le gouvernement écoute. C’est triste, mais c’est comme ça. Si Macron ne recule pas, la violence va s’installer.»

L’exemple des «gilets jaunes»

L’exemple qui est dans toutes les mémoires est celui des «gilets jaunes», durant l’hiver 2018-2019. Très vite, les manifestations ont viré à l’affrontement, avec les fameuses scènes de pillage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018. Monument national souillé et attaqué. Voitures renversées sur les Champs-Élysées. Spectacle d’une France en feu.

La population s’est divisée sur ce triste spectacle. Mais cela n’a pas empêché le mouvement social des «gilets» de rester populaire, soutenu fin 2018 par 72% des Français, selon plusieurs sondages. Plus grave: le fait que des groupes d’irréductibles manifestants aient tenté de faire une percée vers l’Élysée quelques jours plus tard, puis que certains d’entre eux aient essayé de pénétrer de force dans un ministère le 5 janvier 2019, n’a pas été massivement condamné.

Certes, les protagonistes des deux événements ont été jugés et condamnés. Sauf que les peines sont restées modestes (au maximum amendes de quelques centaines d’euros et prison avec sursis). «Liberté, égalité, fraternité, émeutes? Une tradition bien française», interrogeait en 2018 le quotidien «La Charente Libre». Réponse de l’universitaire Michel Pigenet, du Centre d’histoire sociale du XXe siècle: «Ce qui est vrai, c’est qu’il y a en France une tradition de la mobilisation collective qui fait qu’on a le sentiment qu’il faut que la République nous entende d’une manière ou d’une autre.»

La comparaison entre le mouvement de rejet de la réforme des retraites et les «gilets jaunes» a du sens. Dès les premières émeutes fin 2018, les protestataires – moins nombreux que lors des marches des 19 et 31 janvier – obtiennent en effet le retrait de la taxe additionnelle prévue sur le carburant, puis l’abandon partiel de la limitation à 80 km/h sur les routes nationales. Leur colère sociale est aussi souvent citée comme l’élément déclencheur du «Quoi qu’il en coûte budgétaire» durant la pandémie de Covid-19, qui vit le gouvernement injecter plus de 200 milliards d’euros dans l’économie.

Alors? «Dans les mouvements populaires, la violence est toujours une réponse à une situation considérée comme insupportable et injuste, complétait en 2019 sur France Info l’historienne Michelle Zancarini-Fournel. On oublie souvent que la Révolution française, socle de notre régime politique, a commencé par des violences dans la rue, la destruction des barrières d’octroi à Lyon le 2 juillet 1789, et au premier chef le 14 juillet avec la prise de la Bastille, aujourd’hui célébrée comme la fête nationale.» À bon entendeur…

Un mouvement encadré cette fois par les syndicats

Les «gilets jaunes» et le mouvement anti-réforme des retraites ont toutefois d’énormes différences. La plus notable est l’encadrement du second par le front uni des syndicats, avec leurs services d’ordre, alors que les «gilets» refusaient toute discipline. La bonne nouvelle est d’ailleurs que, jusque-là, les violences policières très importantes en 2018-2019 (4400 blessés, 10'718 gardes à vue et 2000 condamnations) ont été moindres. La France reste en effervescence, mais cela ne déborde pas en saccages. Les bandes de casseurs ont jusque-là été jugulées dans les défilés.

Mais après? L’opinion est taraudée par les extrêmes, à gauche comme à droite. Le refus d’un référendum attise les braises de la colère. La procédure parlementaire accélérée donne l’impression que le gouvernement tord le bras du législateur. Ce face-à-face sans résultats est-il tenable? «Les syndicats, en particulier la CFDT réformiste, se sont mis dans une situation où ils doivent obtenir une victoire. Le gouvernement doit donc reculer» juge une ancienne responsable de cette formation. Certains pointent du doigt le sabotage d’aiguillage survenu gare de l’Est, à Paris, le 19 janvier. Un avertissement?

La violence n’est heureusement pas au rendez-vous de ce premier grand bras de fer social du second mandat Macron. Mais elle plane au-dessus des cortèges et de chaque déclaration de fermeté gouvernementale.

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