C’est non. Pas possible de faire confiance à Emmanuel Macron, ce président auquel il doit tout sur le plan politique. Ministre de l'Education entre 2017 et 2022, Jean-Michel Blanquer a incarné la volonté de rupture portée par l’actuel président français, qui vient de refermer la parenthèse des Jeux olympiques et paralympiques de Paris par une grande fête pour les athlètes tricolores au pied de l’Arc de Triomphe.
Jean-Michel Blanquer fut même, pendant le début du premier quinquennat, l’un des chouchous du chef de l’Etat. Un ministre-star. Celui qui, selon les observateurs, pouvait devenir un incontournable de la scène politique.
«La Citadelle» (Ed. Albin Michel), le livre de mémoires tout juste publié par l’ex-patron des 850'000 enseignants français, raconte pourquoi rien ne s’est passé comme prévu. Pourquoi? Parce que la politique est un métier bien éloigné de celui de prof, ou du quotidien des hauts fonctionnaires.
Et parce qu’en France, tout remonte au sommet: c’est-à-dire au palais présidentiel de l’Elysée, où l’homme le plus puissant n’est pas toujours celui qu’on croit. Il faut lire les passages consacrés par Jean-Michel Blanquer au duo «Mahler-Kohcron» pour comprendre que le secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, principal collaborateur du chef de l’exécutif, concentre dans ses mains bien plus de pouvoirs qu’il ne le devrait.
Aux portes du vrai pouvoir
Jean-Michel Blanquer, 59 ans, semble avoir aujourd’hui une obsession: laisser une marque. Prouver que ses cinq années passées à la tête du ministère de l’Education nationale, avec le mandat de réformer ce «mammouth» si français, n’ont pas servi à rien. On le comprend, mais les lecteurs qui ne s’intéressent pas aux dossiers scolaires en subissent les conséquences.
Les deux tiers du livre sont davantage écrits pour des enseignants, ou pour des responsables de l’administration éducative, que pour des curieux de l’action publique. Reste le dernier tiers du livre, qui lui vaut ce titre, avec en couverture la photo du palais de l’Elysée. «La Citadelle» est le récit d’un homme qui a échoué à forcer les portes du «vrai» pouvoir. Parce que rien ne peut remplacer, en France, la confiance du président.
Plus de boussole
Emmanuel Macron, sous la plume de Jean-Michel Blanquer, est un président qui a perdu sa boussole. Ce candidat météorique qui s’est retrouvé élu en 2017 avait su agréger autour de lui une équipe innovante, pleine de volonté réformatrice, et bien consciente des enjeux de terrain. L’auteur, lui-même vétéran du ministère de l’Education nationale, prend plaisir à raconter comment il prend possession d’un bureau ministériel qu’il connaît par cœur, pour y avoir souvent été convoqué par ses prédécesseurs.
La politique et ses lois
Tout était donc bien parti. Puis la politique et ses lois ont repris rapidement le dessus. L’exemple le plus saillant est celui du ministre des Finances Bruno Le Maire, attendu d'ici à la fin septembre pour commencer ses cours à l’université de Lausanne. Le premier gouvernement Macron est vieux d’à peine quatre mois. Le premier ministre Edouard Philippe a la cote. Mais déjà, Le Maire, vétéran de la chose publique, prépare le prochain carrousel gouvernemental. Ambition, quand tu nous tiens…
Jean-Michel Blanquer évite de mettre en cause directement Emmanuel Macron. Il focalise sur son caractère plus que sur sa volonté politique. Macron est colérique. Macron veut être toujours aimé. Macron ne supporte pas de voir ses poulains s’émanciper.
Un opportuniste né
On retrouve, dans ce livre, ce qui transparaissait dans le journal de l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn (Ed. Flammarion) sur la tempête du Covid et son éviction politique progressive. La force du président français est qu’il n’a pas de colonne vertébrale. Il est un opportuniste né. Il navigue. Il connaît le pays. Il voit juste. Mais lui faire confiance peut vous blesser politiquement à mort.
Les amateurs de politique française savoureront quelques portraits. Celui que Jean-Michel Blanquer pilonne le plus est le leader centriste François Bayrou, qui croit toujours à son étoile et pourrait se présenter à la présidentielle de 2027. Bayrou est, pour Blanquer, l’archétype du baron provincial qui n’en finira jamais de prendre sa revanche sur Paris et son establishment. Il veut tout le pouvoir sans l’assumer.
Mais revenons à Emmanuel Macron. Le meilleur portrait dressé par l’auteur se lit en creux lorsqu’il écrit: «Tout incite le prince à se défier de tout. On doit, dans l’exercice du pouvoir, savoir laisser une juste place à la prudence paranoïaque. Mais elle ne saurait prendre toute la place. L’art de gouverner consiste justement à laisser dominer en surplomb l’esprit de générosité, faute de quoi on perd et le sens et l’efficacité.»
A bon entendeur…
A lire: «La Citadelle» de Jean-Michel Blanquer (Ed. Albin Michel)