«234 personnes à bord de l’Ocean Viking et aucun port de débarquement: aidez-nous!». Tel est encore, ce jeudi 10 novembre, le titre qui barre la page d’accueil du site web de SOS Méditerranée, ce réseau dont fait partie SOS Méditerranée Suisse, basée à Genève.
Un titre que l’actualité des dernières heures oblige à rectifier. 230 personnes secourues en mer sont encore présentes sur le navire, actuellement au large de la Corse, après l’évacuation médicale de quatre migrants. Et un port d’accueil a finalement été trouvé. Il s’agit de Toulon, où le bateau accostera vendredi après l’accord donné par Emmanuel Macron à titre «exceptionnel».
Fonds européens pour l’assistance aux migrants
La décision du président français clôt plusieurs journées de discussions houleuses et infructueuses entre Rome et Paris. Pour la France, qui invoque une fois de plus le droit de la mer, l’Italie aurait dû accueillir ce navire, d’autant plus que le pays reçoit des fonds européens pour ces opérations humanitaires d’assistance aux migrants. Doté d’un budget de 10 milliards d’euros pour la période 2021-2017, le fonds européen Asile, migrations et intégration, est la réponse que l’UE a apportée au signal d’alarme tiré par les pays de premier accueil les plus exposés, comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne.
Mais la politique est évidemment passée par là, depuis l’arrivée au pouvoir dans la péninsule de la dirigeante nationale populiste Giorgia Meloni. Celle-ci, élue en partie pour ses diatribes anti-immigration à l’issue des législatives du 25 septembre, a refusé d’accueillir l’Ocean Viking, malgré dix-neuf demandes de débarquement envoyées par le commandant du navire. Plusieurs bateaux humanitaires avaient toutefois pu accoster auparavant sur les rivages italiens.
Risque calculé pour Emmanuel Macron
Emmanuel Macron a, en fait, pris un risque calculé avec cette autorisation exceptionnelle, aussitôt dénoncée par le Rassemblement national de Marine Le Pen et par une partie de la droite. D’abord, parce que ce geste humanitaire va permettre à la France de relancer le débat sur la réforme nécessaire de Frontex, l’agence de protection des frontières européennes dont la Suisse est membre, et dont l’actuelle directrice exécutive, la lettonne Aija Kalnaja vient d’être auditionnée jeudi à Paris au Sénat.
Ensuite, parce que le gouvernement se retrouve ainsi en position de force pour défendre son nouveau projet de loi sur l’immigration, attendu au parlement début 2023. L’objectif de ce texte est, entre autres, de durcir encore les conditions réservées aux clandestins déboutés et visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Montrer dans ces conditions que l’accueil humanitaire reste la règle est une pierre jetée avec habileté dans le jardin de la gauche et des Verts français, très mobilisés sur ces questions.
Obliger l’Italie à répondre
L’autre avantage marqué par Emmanuel Macron avec cette décision d’ouvrir les portes de Toulon à l’Ocean Viking et à ses 230 passagers est d’obliger l’Italie à répondre sur les fonds européens qu’elle reçoit au titre de l’accueil des migrants.
Si Rome ferme les portes aux navires, le versement de nouvelles aides communautaires pourrait être revu et redirigé… vers la France, second pays de l’UE après l’Allemagne en termes de demandes d’asile (89'400 en 2021 contre 43'800 pour l’Italie). Paris compte également forcer son voisin italien à répondre aux questions douloureuses sur l’exploitation des migrants par les mafias dans la péninsule.
La criminalité organisée ferait plus d’argent aujourd’hui avec l’exploitation des clandestins, puis leur passage vers d’autres pays européens, qu’avec la drogue ou la prostitution. Les organisations mafieuses détourneraient même une partie de l’argent alloué par Bruxelles, à travers des associations humanitaires factices.
Giorgia Meloni devant ses responsabilités
En prenant le risque de l’impopularité avec l’accueil de l’Ocean Viking, Emmanuel Macron se met en position d’interpeller à la fois l’Union et l’agence Frontex. Il a déjà obtenu que neuf pays européens s' engagent à accueillir les « deux-tiers » des 234 migrants de l'Ocean Viking. Tout en plaçant la présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, devant ses responsabilités, à un moment où celle-ci a grandement besoin des fonds du plan de relance européen.
Un calcul très politique, qui repose aussi la question qui fâche: celle de l’exploitation des navires humanitaires, devenus des objets de chantage entre gouvernements.