26%: c’est la proportion de la population suisse qui a préféré se passer de soins dentaires pour des raisons de coûts. Ce pourcentage situe la Confédération en milieu de classement des pays où les renoncements aux soins sont les plus fréquents. Les Anglosaxons sont encore plus durement frappés, mais chez nos voisins européens, l’Allemagne (19,2%), la France (18,5%) s’en tirent à meilleur compte.
Tout comme les Pays-Bas (10,3%), pays le plus semblable à la Suisse en matière de taille, de population et de richesse par habitant. Ces chiffres proviennent d’une étude réalisée en 2020 par Commonwealth Fund, une fondation américaine qui promeut l’accès aux soins de qualité pour les personnes défavorisées.
Absence de couverture pour les soins dentaires
Le mauvais classement de la Suisse s’explique notamment par l’absence de couverture d’assurance sociale remboursant les frais liés aux soins dentaires. En effet, tous les pays qui font mieux disposent d’un système de prise en charge par la collectivité.
D’autant que l’étude du Commonwealth Fund fait aussi apparaître un écart important entre les différents niveaux de salaire: les personnes déclarant toucher un revenu supérieur à la moyenne seraient près de 20% à se priver de soins dentaires, alors que chez les Suisses disposant de ressources financières légèrement ou largement inférieures à la moyenne (établie à 102’000 francs bruts par an et par ménage), cette proportion grimpe à 33%.
Dans les pays extra-européens, le phénomène est encore plus prégnant. En Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, près de la moitié des personnes touchant moins que la moyenne déclare avoir dû se passer d’au moins une intervention dentaire.
Sur le Vieux-Continent, la Suisse fait pâle figure vis-à-vis des pays voisins où la santé bucco-dentaire est mieux prise en charge par la collectivité. En France, seuls 21% des bas revenus seraient concernés alors qu’en Allemagne, cette proportion chute à 10%.
Distinguer «renoncement» et «privation»
Mais selon Olivier Marmy, médecin-dentiste et chef du département de la communication de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO), ces chiffres doivent être relativisés. «Il faut distinguer le renoncement de la privation. Ainsi, je relève que dans ces enquêtes, même parmi les revenus élevés, une personne sur dix déclare renoncer à des soins dentaires. Nous en déduisons que la plupart de ces interventions étaient facultatives, c’est-à-dire pas strictement indiquées médicalement. Face à la perspective de se séparer de plusieurs milliers de francs, certains préféreront ne pas entreprendre un traitement orthodontique purement esthétique, par exemple, ou décident de le remettre à plus tard.»
Le spécialiste signale que le taux de privation, celui qui concerne les interventions nécessaires d’un point de vue médical, se situe beaucoup plus bas: «Selon l’Office fédéral de la statistique, seuls 2,5% de la population se sont privés de soins dentaires dont ils avaient vraiment besoin.»
Olivier Marmy reconnaît qu’il est difficile pour l'heure d’évaluer précisément la santé bucco-dentaire de la population suisse: une vaste étude épidémiologique est en cours d’élaboration et ne donnera probablement pas de résultats avant plusieurs années. Une donnée est d’ores et déjà disponible: «Une étude de l’Université de Malmö, en Suède, mandatée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), montre qu’en 2020, l’indice CAOD, pour dents cariées, absentes ou obturées, s’élève à 0,5 chez les enfants de 12 ans. C’est un excellent résultat.» La moyenne mondiale se situe en effet autour de 1,7. Le médecin-dentiste y voit un signal que les mesures de prophylaxie mises en place dans les années 1960 continuent de porter leurs fruits.
Même si beaucoup rechignent à souscrire une assurance complémentaire pour les soins dentaires, la population est globalement consciente de l’importance des contrôles et des traitements préventifs. «Près de 70% des consultations auprès des dentistes ne sont pas motivés par un problème ou une douleur, mais par un contrôle de routine et un détartrage. Cela montre que les gens se préoccupent de leur santé bucco-dentaire et adoptent la meilleure stratégie en la matière pour éviter des surcoûts: la prévention.»
L’assurance universelle malmenée dans les urnes
Pourtant, les propositions de solution politique n’ont pas manqué ces dernières années. En 2018, les Vaudois étaient appelés à se prononcer en votation cantonale sur l’instauration d’une assurance obligatoire pour les soins dentaires. Le texte avait été rejeté par 58% des votants. L’année suivante, les Genevois avaient été 55% à opposer la même réponse à une initiative cantonale semblable et, en 2022, les citoyens du canton de Neuchâtel ont à leur tour désavoué un texte similaire avec près de 63% de «non».
Exit, donc, l’assurance sociale universelle. Mais quid d’une couverture privée? Tous les prestataires d’assurance maladie de base proposent une complémentaire qui rembourse en partie les frais de dentiste. Mais ces options sont souvent boudées: «Je constate que les moins de 18 ans bénéficient en général d’une assurance complémentaire qui prend en charge ce type de prestations, mais c’est beaucoup moins le cas chez les adultes», note Olivier Marmy. Difficile d’établir les causes précises de ce désintérêt, en l’absence d’une enquête consacrée à la thématique, mais quelques hypothèses peuvent être évoquées: prix trop élevé, offre parcellaire ou conditions de remboursement trop restrictives.
La Suisse est plutôt bien dotée au niveau de l’industrie des implants bucco-dentaires. Le géant bâlois Straumann couvre près d’un quart du marché mondial. L’entreprise, présente dans près de 100 pays et employant plus de 10'000 personnes à travers le monde, a annoncé un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de francs en 2022.
Basée à Kloten (ZH), sa concurrente Nobel Biocare emploie plus de 2'000 personnes et a engrangé pas moins de 600 millions de francs cette même année. Depuis 2014, elle fait partie du groupe américain Danaher, qui l’a rachetée pour 2,2 milliards de dollars.
La Suisse est plutôt bien dotée au niveau de l’industrie des implants bucco-dentaires. Le géant bâlois Straumann couvre près d’un quart du marché mondial. L’entreprise, présente dans près de 100 pays et employant plus de 10'000 personnes à travers le monde, a annoncé un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de francs en 2022.
Basée à Kloten (ZH), sa concurrente Nobel Biocare emploie plus de 2'000 personnes et a engrangé pas moins de 600 millions de francs cette même année. Depuis 2014, elle fait partie du groupe américain Danaher, qui l’a rachetée pour 2,2 milliards de dollars.
Une aide ciblée
Mais la situation évolue tout de même sur le terrain politique. En Valais, le Grand Conseil a voté le 14 mars dernier une aide pour les ménages les plus précaires, c’est-à-dire ceux qui bénéficient d’une allocation de ménage. Près de 7000 seraient concernés. Le texte a bénéficié d’un large soutien des députés valaisans de tous bords, à l’exception des élus UDC qui se sont abstenus. Même si le montant maximal de l’allocation doit encore être fixé par le Conseil d’État, la mesure crée un précédent en Suisse. À Genève, une initiative similaire, déposée par le PS en 2022, prévoit d’allouer un chèque de 300 francs par an aux bénéficiaires des subsides d’assurance maladie. Le pouvoir législatif genevois devra se prononcer au plus tard en mai 2024. En cas de refus de sa part, le texte sera soumis à une votation populaire.
Au-delà des aides directement allouées par l’État, les organismes parapublics ont aussi un rôle à jouer pour fournir une assistance ciblée. À la fondation Point d’Eau, un organisme qui offre des soins médicaux et dentaires à prix cassé pour les plus démunis, on constate tout de même une dégradation de la situation. «Nous accueillons aujourd’hui des catégories de personnes que nous ne connaissions pas auparavant, reconnaît François Chéraz, fondateur et directeur de la fondation. Notamment des personnes retraitées qui n’ont pas accès aux prestations complémentaires, mais pour qui certaines interventions médico-dentaires s’avèrent inabordables. Les demandes augmentent et nous commençons à manquer de bénévoles.»
Les personnes en situation de précarité peuvent néanmoins demander une aide financière auprès de leur canton ou de leur commune. C’est notamment le cas de celles bénéficiant de l’aide sociale et des retraités recevant des prestations complémentaires.
Malheureusement, certains continuent de passer entre les mailles du filet social: «Une partie de la population se situe entre les seuils», c'est-à-dire que sa situation ne remplit pas les critères d’accès aux aides, bien qu’elle ne soit pas en mesure de faire face à des dépenses importantes. «La SSO est déterminée à trouver des solutions pour permettre à cette catégorie de la population d’avoir accès au dentiste, indique Olivier Marmy. Nous avons lancé un projet pilote dans le canton de Fribourg, en partenariat avec la section locale de Caritas et les autorités cantonales.»
«Le conseil que je donnerais à une personne que des soins dentaires indispensables mettraient en difficulté financière est de discuter des solutions avec son médecin-dentiste. De nombreux problèmes de santé peuvent être résolus par différentes options, dont certaines sont non seulement moins chères, mais aussi moins lourdes, comme la prothèse amovible au lieu de la couronne traditionnelle», relève Olivier Marmy.
Une autre solution consiste à s’adresser aux cliniques universitaires proposant des soins dentaires prodigués par des étudiants. Les tarifs sont alors réduits de 70% en cas de traitement par une personne pas encore diplômée, et de 25% s’il s’agit d’un dentiste diplômé en cours de spécialisation. «C’est une solution qui convient surtout à ceux qui habitent près d’un centre de formation», nuance Olivier Marmy. Or il n’en existe que quatre en Suisse: à Genève, Bâle, Berne et Zurich.
Le spécialiste rappelle également que, même si des traitements peuvent paraître inabordables de prime abord, certains s’étalent souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. «Ainsi le règlement d’un traitement orthodontique dont le devis s’élève à 10'000 francs sera étalé sur une longue période.»
En dernier lieu, les médecins-dentistes peuvent également vous aider à obtenir de l’aide financière auprès des autorités ou d’une fondation.
«Le conseil que je donnerais à une personne que des soins dentaires indispensables mettraient en difficulté financière est de discuter des solutions avec son médecin-dentiste. De nombreux problèmes de santé peuvent être résolus par différentes options, dont certaines sont non seulement moins chères, mais aussi moins lourdes, comme la prothèse amovible au lieu de la couronne traditionnelle», relève Olivier Marmy.
Une autre solution consiste à s’adresser aux cliniques universitaires proposant des soins dentaires prodigués par des étudiants. Les tarifs sont alors réduits de 70% en cas de traitement par une personne pas encore diplômée, et de 25% s’il s’agit d’un dentiste diplômé en cours de spécialisation. «C’est une solution qui convient surtout à ceux qui habitent près d’un centre de formation», nuance Olivier Marmy. Or il n’en existe que quatre en Suisse: à Genève, Bâle, Berne et Zurich.
Le spécialiste rappelle également que, même si des traitements peuvent paraître inabordables de prime abord, certains s’étalent souvent sur plusieurs mois, voire plusieurs années. «Ainsi le règlement d’un traitement orthodontique dont le devis s’élève à 10'000 francs sera étalé sur une longue période.»
En dernier lieu, les médecins-dentistes peuvent également vous aider à obtenir de l’aide financière auprès des autorités ou d’une fondation.
En collaboration avec Large Network