Avec la hausse du coût de la vie en Suisse, nombre de retraités sont tentés d’aller vivre leur retraite à l’étranger pour retrouver un certain pouvoir d’achat. Ayant fait leurs calculs, ils réalisent qu’une fois à la retraite, l’AVS et le 2e pilier cumulés ne leur permettront pas de vivre confortablement en Suisse, car ils ne représenteront que 60% de leur dernier salaire, tandis que le coût de la vie lui ne baissera pas vraiment.
Vivre en Suisse coûte plus cher que partout ailleurs en Europe: les dépenses moyennes d'un ménage sont 70% plus élevées que dans l'UE. Dès lors, nombre de retraité(e)s se questionnent: si l’on doit renoncer à des dépenses et à des loisirs, pourquoi ne pas aller vivre ailleurs, là où la rente suisse nous procure une meilleure vie, sans stress financier?
Pour d’autres retraité(e)s suisses, en meilleure situation financière, disposant par exemple d’une certaine fortune, la tentation est aussi grande de se redomicilier dans des pays où la charge fiscale est plus légère. Bref, diverses raisons incitent les retraités suisses à partir, et ils seraient au moins 10% à déménager à l’étranger. Voici une rapide checklist des points à ne pas oublier avant de prendre sa décision, avec deux experts financiers et fiscaux.
Faites une période de test!
«Avant de se délocaliser dans un autre pays, la première chose est de réfléchir si l’on est prêt à couper suffisamment les liens avec la Suisse. On a souvent des enfants, et des petits enfants, et ces décisions ne se prennent pas sur un coup de tête», souligne Philippe Kenel, spécialiste en délocalisations et associé à l’étude Python à Pully. «Est-ce que vous vous voyez vraiment vivre toute l’année ailleurs?» questionne aussi Philippe Szokoloczy-Syllaba, fondateur de MyGlobalAdvisor et spécialisé dans le conseil aux grandes fortunes.
En matière de vie sociale, note-t-il, on ne se rend pas toujours compte de ce qu’on laisse derrière soi. «Parlerez-vous la langue de ce nouveau pays? Vos voisins vont-ils vous accepter, vous intégrer, pouvez-vous recréer une communauté?» Plus le climat est chaud et la vie moins chère, plus la destination est lointaine et la culture différente. Il font donc souvent devenir très patient et accepter de se fondre dans une nouvelle culture, au rythme différent. Le conseil de Philippe Szokoloczy-Syllaba: «avant de partir pour de bon, trouvez le moyen d’y aller pour une période de test sur place!»
Pour préparer votre départ, il vous faudra faire la demande pour récupérer votre rente AVS auprès de la Caisse de compensation suisse, au moins six mois avant le déménagement. De même, vous pourrez retirer vos 2e et 3e piliers à l’âge de la retraite, sous forme de capital ou de rente, et en bénéficier dans votre nouveau pays de résidence. Communiquez tout changement de domicile à votre caisse de compensation suisse. À votre arrivée, annoncez-vous auprès des autorités compétentes (services de l’immigration) dans le délai prescrit.
S’intéresser à la fiscalité
Le Portugal a connu un grand succès ces dernières années. Mais les experts soulignent que cette attractivité – principalement liée à des raisons fiscales - a fait grimper les prix de l’immobilier dans les lieux les plus recherchés. En outre, il faut savoir que le Portugal n’a plus les mêmes attraits fiscaux que ces dernières années, explique Philippe Kenel. Il avait en effet deux statuts intéressants, qui n’existent plus aujourd’hui: le 'golden visa', supprimé il y a quelques mois, et le statut de 'résident non habituel' (RNH), qui pourrait être bientôt remplacé par un autre statut, mais la suite est encore incertaine. En attendant, il faut donc choisir le Portugal pour d’autres raisons, à commencer par sa proximité de la Suisse, son climat plus doux, sa sécurité et le faible coût de la vie.
Philippe Kenel souligne que pour les grandes fortunes, l’Italie est attractive avec son forfait à 100'000 euros. Malte, destination plus «exotique», est attrayante sur le plan fiscal, «mais attention aux fausses délocalisations, prévient Philippe Kenel. Le risque est que les gens ne vivent pas assez à Malte.» Idem pour le Luxembourg, où l’on est faiblement imposé, mais le Grand-Duché est jugé ennuyeux et l’immobilier y est très cher. En Belgique, la fiscalité s’est passablement compliquée et on s’y délocalise moins. L’Espagne, quant à elle, offre un coût de la vie attrayant, mais la fiscalité varie fortement en fonction des régions, et il s’agit de se renseigner au cas par cas. Pour toute destination, il faut au préalable s’informer sur le traitement fiscal des rentes: quelle est la taxation des revenus de la retraite? Il faudra en effet les déclarer.
«Il faut aussi se renseigner sur l’impôt, sur les donations et les successions, qui peuvent s’avérer élevés pour les héritiers, en cas de décès de la personne retraitée», met en garde Philippe Kenel. Laissez-vous des héritiers? Où sont-ils basés et comment se fera la transmission? Il s’agit enfin de vérifier s’il existe une «convention de non double imposition» avec le pays de destination, qui garantit que vous ne soyez pas taxé à double là-bas et en Suisse, souligne Philippe Szokoloczy-Syllaba. Des pays comme le Maroc, la Turquie, le Portugal et la Thaïlande ont de telles conventions. «Mais si vous partez pour un paradis fiscal, ce ne sera à priori pas le cas.»
Et s’il n’y a pas de convention, quel est votre risque sur le plan fiscal? Aussi bien le pays de destination que la Suisse peuvent décider que vous êtes résident de leur pays, avec comme conséquence que vous resteriez pleinement imposable en Suisse malgré votre départ. Surtout si vous avez gardé des attaches avec la Suisse (compte bancaire, source de revenus, membres de la famille, retours fréquents en Suisse). Toutefois, note l’expert, «le risque que la Suisse vous redresse fiscalement est moindre comparé à la France qui a plus facilement tendance à vous considérer comme étant toujours résident français quand vous êtes parti.»
S’intéresser aux soins médicaux
Un aspect essentiel et décisif, selon les experts: la qualité des soins médicaux et du système hospitalier sur place. La pandémie du Covid a montré combien cette dimension est vitale. «Ici en Suisse on a des primes maladie élevées, mais on a de très bons soins», souligne Philippe Kenel. À cet égard, l’assurance maladie que vous contracterez à l’étranger constituera une part incontournable du budget. «Vous vous trouvez en Thaïlande, en Turquie, au Maroc ou au Portugal, est-ce que vous connaissez le système de santé, est-ce que vous savez qui aller voir si vous devez vous faire opérer, est-ce que vous serez assisté si vous perdez en mobilité?», interroge Philippe Szokoloczy-Syllaba.
En outre, quelles sont les possibilités de revenir en Suisse, de se faire rapatrier si besoin? Où se loger si on revient en Suisse, et a-t-on budgété le prix des billets d’avion? À plus long terme, que se passera-t-il en cas de décès? Là aussi, il faut s’organiser.
«Si par exemple vous mourez à Genève, rappelle l’expert, la Ville de Genève offre aux habitants de la Commune la gratuité des funérailles, à savoir, la fourniture d'un cercueil, la mise en bière, le dépôt éventuel dans une chambre mortuaire municipale, le transfert jusqu'au lieu du culte sur le territoire communal, l’acheminement vers un cimetière de la Ville pour l'inhumation ou la prise en charge de l'incinération au crématoire de Saint-Georges, la fourniture d'une urne cinéraire et les formalités administratives de base. Si vous êtes à l’étranger, et que vous voulez vous faire enterrer au cimetière de Saint-Georges à Genève, qui va s’occuper de rapatrier le corps et de régler la note? Faites-vous assurer à cette fin et laissez des consignes précises à vos proches à ce sujet. Si vous voulez être enterré dans votre pays d’adoption, il s’agit également de s’informer si cela est accepté pour les non nationaux.»
S’intéresser à la monnaie
Lors de votre déménagement, l’AVS peut vous verser votre retraite dans la monnaie du pays de destination, ou alors en francs suisses. Si vous voulez garder votre capital de retraite sur un compte, il est conseillé de conserver ce capital en francs suisses. En effet, conserver le capital dans la monnaie locale (que ce soit l’euro, le baht thaïlandais ou la livre turque) vous expose à un risque de forte dévaluation de votre capital.
En revanche, si vous touchez chaque mois votre rente et en dépensez l’essentiel, vous pouvez la toucher en monnaie locale car elle sera convertie à partir du franc suisse. Si les conditions de change sont meilleures sur place, attendez de recevoir la rente en francs suisses, puis convertissez-la sur place, recommande Philippe Szokoloczy-Syllaba. «Mais vérifiez bien que votre banque locale ne vous prélève pas des frais trop élevés (commissions d’encaissement et commissions de change peu favorables). Dans ce cas, il pourrait être préférable de recevoir sa rente en monnaie locale directement de la Suisse, à un taux de change qui peut être plus intéressant.»
Enfin, vous pouvez garder un compte en Suisse pour votre sécurité et vos séjours éventuels en Suisse. Si vous êtes délocalisé à l’étranger, vous n’êtes plus résident suisse et ne serez donc pas imposé sur ce compte en Suisse.
Et les cantons suisses?
Avant d’envisager des destinations lointaines, n’est-il pas plus simple de regarder les choix qui existent en Suisse, comme le canton du Valais, où l’immobilier est meilleur marché, et la fiscalité plus clémente que sur la Côte, le tout avec plus d’ensoleillement?
Par ailleurs, si l’on dispose d’une certaine fortune, se délocaliser à Schwyz offre des attraits certains, souligne Philippe Kenel: «À Genève, on paie 100'000 francs d’impôt sur une fortune de 10 millions. À Schwytz, ce montant est divisé par 10, à 10'000 francs, et on est à 2h de voiture. En outre, à Schwyz, il n’y a aucun impôt sur les donations et les successions. Et on bénéficie des mêmes prestations maladie», rappelle le conseiller en patrimoine, lui-même originaire de Schwyz.
Il y a deux côtés à Schwyz, note-t-il. Celui qui donne sur le Lac des Quatre Cantons, et celui qui donne sur le lac de Zurich, en face de la Golden Küste, à 30 minutes de l’aéroport de Kloten. Attention toutefois, il peut être tentant de ne pas jouer le jeu et de rentrer trop souvent en Suisse romande. «Il faut réellement y vivre!» insiste Philippe Kenel. Profiter de la faible imposition tout en conservant un appartement à Genève ou Lausanne est vivement déconseillé.