Vous avez quelques économies de côté, et souhaitez investir d’une façon qui préserve l’environnement et la société. Vous recherchez donc des fonds de placement axés sur des entreprises respectueuses des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (les critères d’investissement «ESG»). Voire, vous souhaitez avoir un véritable impact positif à travers un placement qui œuvre activement pour la dépollution ou améliore les conditions de vie des travailleurs dans le monde. Objectifs nobles.
Seul hic: dans la jungle des fonds de placement, un certain nombre de produits étiquetés «durables» ne le sont pas tant que ça. C’est le fameux risque de greenwashing, à savoir le marketing de fonds moins verts qu’il n’y paraît. Et qui contiennent des parts d’entreprises qui, au moins pour une partie de leur activité, ne devraient pas y figurer.
Eviter certains pièges
Comment choisir un placement durable sans se faire avoir? «Il faut apprendre à éviter certains pièges», selon Yves Genier, rédacteur en chef du bimestriel «Mon Argent», édité à Lausanne, qui a récemment consacré un dossier à ce sujet. Il cite l’exemple d’un fonds vendu comme «responsable» et s’adressant à des investisseurs qui «préfèrent un profil ESG attractif».
Or ce fonds, à fin août 2023, contenait deux géants du pétrole et du charbon, gros émetteurs de gaz à effet de serre: le pétrolier Shell et le numéro deux mondial de l’extraction de charbon Rio Tinto. Un autre exemple de fonds vendu comme ESG-compatible contenait des actions de TotalEnergies.
Pour éviter ce cas de figure, le WWF Suisse, qui se consacre à la défense de l’environnement, conseille de vérifier systématiquement les principales positions dans lesquelles un fonds de placement est investi. «Les investisseurs peuvent ainsi s’assurer, par exemple, que des entreprises du secteur des énergies fossiles ou qui contribuent à la déforestation ne figurent pas dans un fond spécifique», préconise Amandine Favier, responsable des investissements durables au WWF.
Cela ne prend pas beaucoup de temps d’aller vérifier quelles sont les 10 principales entreprises incluses dans un fonds: les prospectus des fonds de placement sont disponibles notamment sur swissfunddata.ch, un site créé par l’Association suisse des gérants de fonds et la Bourse suisse qui recense tous les fonds proposés en Suisse.
Des fonds qui jouent sur l’ambiguïté
Travaillant comme journaliste financier depuis 30 ans, Yves Genier a eu l’occasion de tester certains fonds durables pour lui-même: «Plutôt que de viser les fonds labellisés ESG, je regarde la composition des fonds et j’évite les secteurs peu éthiques ou polluants comme les énergies fossiles, l’armement ou le travail forcé.»
En parlant de travail forcé, un rapport de Human Rights Watch publié ce 2 février 2024 a par exemple montré que des groupes comme General Motors, Tesla, Toyota ou Volkswagen seraient potentiellement de gros acheteurs de l’aluminium chinois produit dans le Xinjiang, région maintes fois épinglée par les Ong pour le travail forcé pratiqué dans ses usines.
Typiquement, les gérants ESG seraient censés tenir compte de ce type d’information au moment de la sélection des fonds. Mais la réalité est souvent différente, constate Yves Genier: «On trouve régulièrement des cas où une entreprise d’extraction de charbon comme Iberdrola figure dans un fonds durable, obtient une notation ESG favorable de la part d’une des agences spécialisées dans ce domaine, publie un rapport de durabilité, ce qui lui permet d’être éligible pour des fonds durables en jouant sur l’ambiguïté de la réglementation européenne, et le tour est joué. Au demeurant, la Suisse est encore moins exigeante en matière de finance durable et compte largement sur l’autoréglementation du secteur.»
L’activisme ne fait pas de miracles
Pour autant, l’idée est-elle bonne de choisir des fonds de placement qui excluent d’emblée des entreprises ou secteurs problématiques? Les avis divergent. Pour certains gérants de fonds durables, investir dans ces groupes permet de les changer de l’intérieur ou du moins d’espérer le faire, en votant dans leurs assemblées générales.
Reste à savoir si ces fonds éthiques parviennent vraiment à changer les pratiques d’une entreprise en exerçant cette pression actionnariale: «Il reste difficile pour les activistes de se faire entendre aux assemblées générales, constate Yves Genier. Et quand par exemple un géant du pétrole, pour aller dans le bon sens, investit une partie de ses revenus dans le développement d’énergies renouvelables, cela reste souvent une faible, voire très faible part de son business.»
En outre, «l’exclusion des entreprises ne suffit pas à elle seule à éviter le greenwashing, observe Amandine Favier. Tout produit financier se disant durable doit poursuivre un objectif de durabilité clair et mesurable». Plus généralement, poursuit l’experte du WWF, toute entreprise ou institut financier qui vante des qualités ou attributs durables sans en apporter la preuve risque de se rendre coupable de greenwashing. «C’est ce que l’on peut observer notamment dans le domaine des engagements pour le zéro émission nette, où parfois les promesses faites ne répondent pas à la rigueur scientifique requise ou ne sont pas mises en œuvre correctement.»
ETF durables: plus avantageux
Dans le prospectus d’un fonds durable, on trouve aussi les frais facturés à l’investisseur. Pour un fonds ESG géré activement, les frais totaux récurrents se situent entre 1% et 1,5% des avoirs. «Si l’on dispose de quelques milliers de francs, les Exchange Traded Funds (ETF), ou fonds indiciels, valent mieux que les fonds de placement car ils sont moins chers», souligne Yves Genier. Les frais des ETF axés sur les entreprises durables se situent entre 0,10 et 0,5%.
Les ETF durables sont gérés passivement ; ils répliquent des indices d’entreprises durables. Nombre d’entre eux sont accessibles sur le site de la bourse suisse ou sur Swiss Fund Data aux investisseurs privés non qualifiés.
Impact net positif: prometteur
Enfin, reste l’investissement d’impact. À savoir, acquérir des parts d’entreprises qui construisent des puits ou des écoles, qui décarbonent, purifient les eaux, recyclent des déchets ou améliorent généralement l’état de l’environnement et les conditions de vie des moins favorisés. Cette approche clairement positive a toutefois un écueil: il n’existe pas un marché de fonds de placement grand public dans ce domaine.
Investir dans une mine d’or éthique au Pérou, par exemple, nécessite un ticket d’entrée élevé, et passe par des véhicules de capital-investissement non cotés en bourse. La plupart des projets proposés par les banques aux clients privés requièrent un conseil de haut niveau, une connaissance poussée du terrain et représentent un risque élevé pour un retour incertain.
Pour Amandine Favier, cet écueil peut être contourné: «Il existe des possibilités intéressantes pour les petits investisseurs d'avoir un impact réel, par exemple par le biais de plateformes de prêt de pair à pair ou en ayant un compte épargne auprès d'une banque qui n'accorde des prêts qu'à des entreprises très durables.»
Cependant, ajoute l’experte du WWF, «mesurer l’impact généré par ce type d’investissement sur le plan environnemental ou social n’est pas toujours chose aisée en raison d’un manque de données et de métriques standardisées».
Malgré tout, conclut Yves Genier, «le jour où il existera un marché de produits d’impact cotés en bourse, liquides et accessibles, ce sera sans doute le meilleur type d’investissement durable, celui qui en vaut la peine».