La thématique de la retraite ressurgit souvent dans l’actualité politique, en témoigne la dernière campagne musclée autour de la réforme AVS 21 et, plus généralement, les inquiétudes croissantes autour du financement des retraites et d’un éventuel relèvement de l’âge légal bien au-delà de 65 ans. En réaction, certains choisissent de prendre leur avenir en main en commençant d’ores et déjà à élaborer leur propre prévoyance, avec pour objectif d’arrêter de travailler bien avant d’atteindre l’âge de la retraite conventionnel.
Encore relativement rares, ces cas se multiplient partout dans le monde et la Suisse ne fait pas exception. Le mouvement FIRE, acronyme de Financial Independence, Retire Early (ndlr: Indépendance financière, retraite avant l’heure), fait notamment couler beaucoup d’encre aux États-Unis. Ses partisans défendent un mode de vie centré sur un seul objectif: quitter le monde du travail à 50, 45, voire même 40 ans! Dans le monde francophone, on les appelle les «frugalistes», ces adeptes d’une consommation pensée pour réduire les dépenses et accroître son capital à vitesse grand V.
Un mode de vie exigeant
Mais quelle est donc la recette pour partir à la retraite plus tôt? D’emblée, il faut dire que ce mode de vie n’est pas fait pour n’importe qui: «Il est clair que cela demande une certaine discipline, car on ne parle pas de limiter ses dépenses sur quelques mois ou un an, mais bien d’en faire un mode de vie à long terme» confirme Marc Pittet, rédacteur du blog The Mustachian Post et auteur de l’ouvrage «Libre à 40 ans en Suisse». Le Romand se veut tout de même rassurant: le frugalisme n’implique pas de vivre en marge de la société. «J’ai deux enfants et de nombreux hobbies.»
Pour lui, inutile de proscrire toutes ses dépenses non vitales pour épargner à outrance: «En se privant des activités qu’on aime et en s’éloignant de ses proches, on finira vite par craquer et renoncer au projet. La meilleure entame consiste à se fixer un objectif de vie post-retraite qui nous motive. Lorsqu’on sait pourquoi on le fait, il est plus facile de savoir comment prioriser ses dépenses.»
Des salaires qui stagnent
Les objectifs varieront considérablement en fonction des personnes. Mais une chose est sûre, atteindre son indépendance financière à 40 ou 45 ans ne conduit pas forcément à vivre une retraite paisible et oisive sous les palmiers.
«Beaucoup souhaitent avant tout pouvoir consacrer davantage de temps à leur passion ou à des activités dont ils ont peur qu’elles ne rapportent pas assez pour vivre. En fait, ce sont parfois même, comme moi, des entrepreneurs refoulés, qui se révèlent très dynamiques et inventifs, mais qui craignent de quitter leur statut de salarié sans les réserves nécessaires», dit le blogueur, pour qui le désir d’indépendance est probablement l’aspect le plus important. Mais il n’imagine pas arrêter toute activité une fois cette indépendance acquise, car il «s’ennuierait au bout d’une journée».
D’aucuns pointent aussi du doigt la perte de valeur du travail vis-à-vis du capital depuis quelques années: les salaires stagnent alors que le coût de la vie augmente et que l’économie mondiale croît. D’un point de vue économique, il devient donc de plus en plus intéressant de se tourner vers le capital plutôt que vers la valeur travail.
De l’aveu même de Marc Pittet, il n’est pas forcément recommandé de s’afficher publiquement en tant que frugaliste ou comme quelqu’un qui souhaite s’offrir une retraite précoce. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’exprime sous un pseudonyme. «Tout ce qui touche à l’argent peut susciter de la jalousie ou une désapprobation qui peuvent s’avérer brutales. Comme je suis très actif sur Internet, un réseau qui ne connaît pas les frontières, je préfère rester discret quant à ma véritable identité.» Il est vrai que la pratique ne laisse pas indifférent. Même au sein des frugalistes les plus motivés, les questions morales et existentielles émergent: arrêter de travailler à 45 ans quand d’autres galèrent à joindre les deux bouts toute leur vie peut apparaître comme une forme d’arrogance vis-à-vis du reste de la société. «On sous-estime souvent l’impact psychologique que peut avoir une telle décision, que ce soit au travers du regard des autres ou même de sa propre conscience.»
De l’aveu même de Marc Pittet, il n’est pas forcément recommandé de s’afficher publiquement en tant que frugaliste ou comme quelqu’un qui souhaite s’offrir une retraite précoce. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il s’exprime sous un pseudonyme. «Tout ce qui touche à l’argent peut susciter de la jalousie ou une désapprobation qui peuvent s’avérer brutales. Comme je suis très actif sur Internet, un réseau qui ne connaît pas les frontières, je préfère rester discret quant à ma véritable identité.» Il est vrai que la pratique ne laisse pas indifférent. Même au sein des frugalistes les plus motivés, les questions morales et existentielles émergent: arrêter de travailler à 45 ans quand d’autres galèrent à joindre les deux bouts toute leur vie peut apparaître comme une forme d’arrogance vis-à-vis du reste de la société. «On sous-estime souvent l’impact psychologique que peut avoir une telle décision, que ce soit au travers du regard des autres ou même de sa propre conscience.»
Vivre simplement
Pour s’engager sur la voie d’une retraite avant l’heure, certains craignent de devoir se contenter d’une existence austère où seuls les besoins primaires sont satisfaits. Pourtant, il est plutôt question d’optimiser ses dépenses pour tirer le maximum de ses revenus.
«Bien sûr, les activités particulièrement onéreuses, comme les week-ends à l'étranger et les restaurants à 200 francs sont à éviter, mais il faut aussi se pencher sur les dépenses d’apparence anodine, comme la téléphonie, les transports, les assurances, les banques, etc. Beaucoup utilisent les fournisseurs les plus chers, possèdent plusieurs véhicules alors qu’un seul peut suffire, ou souscrivent des polices d’assurance superflues sans même y prêter attention. En se tournant vers des alternatives moins chères, on économisera certes relativement peu le premier mois, mais à plus long terme, le potentiel d’épargne est considérable.»
Pour ce qui est des hobbies et des vacances, là encore, nul besoin de se priver à outrance, juste d’opter pour les alternatives les moins douloureuses pour le portefeuille. «En faisant de la randonnée, du ski dans les petites stations familiales du Jura, ou de la natation dans des points d’eau naturels, le sport devient beaucoup plus abordable.»
Bien investir
C’est une composante primordiale, sans laquelle il est inenvisageable d’atteindre l’indépendance financière nécessaire pour arrêter de travailler à 45 ans. Mais cela ne signifie pas de s’improviser tradeur et de boursicoter chaque mois pour tenter d’engranger des gains faramineux. Cette pratique est même déconseillée.
«La bourse n’est pas à proscrire, mais il vaut mieux se tourner vers les ETF (ndlr: titres financiers moins risqués car très diversifiés), ce type de placement en bourse demande très peu de gestion et permet un rendement intéressant à long terme. Lorsqu’on le peut, il faut aussi investir dans les valeurs sûres, comme l’immobilier.» Le premier semble accessible à tous, moyennant un petit capital de départ, mais comment accéder à l’immobilier dans un marché aussi onéreux et saturé que le nôtre? «On peut commencer par des petites acquisitions, comme un studio, qu’il est possible d’acquérir avec environ 40’000 francs de fonds propres.» En outre, les Suisses ayant la chance de gagner des salaires parmi les plus élevés au monde, ils pourront se tourner plus facilement vers des valeurs immobilières à l’étranger.
En outre, s’établir dans un pays étranger pour échapper au coût de la vie élevé en Suisse, par exemple au Portugal ou en Thaïlande, est aussi un moyen pour réduire ses coûts. «C’est une solution tout à fait imaginable, mais il faut se demander si cela colle bien à sa vision de la vie. La Suisse est certes chère, mais elle offre une certaine qualité de vie qu’on ne trouvera pas ailleurs. De plus, déménager à l’étranger signifie bien souvent s’éloigner de sa famille et de ses amis.»
Pourtant, si toute personne qui gagne un salaire moyen peut parvenir à cet objectif en économisant environ 40% de ses revenus et en les plaçant intelligemment, ce mode de vie que certains nous vendent comme accessible ne sera probablement pas du goût de tout le monde. «À ma connaissance, environ deux personnes sur dix qui tentent l’aventure parviennent réellement à remanier leur mode de vie de façon à pouvoir espérer arrêter de travailler 15 ou 20 ans avant la retraite légale. Certains parviendront à une solution intermédiaire où ils accumulent suffisamment de capital pour réduire leur taux de travail et tout de même consacrer plus de temps à leurs activités préférées.»