Vidéos d'abris anti-bombes
L'Ukraine est la première guerre TikTok

Vidéos d'explosions, tutoriels cuisine dans un abri anti-bombes, cours d'histoire accéléré ou désinformation, la guerre en Ukraine fait bouillonner le réseau social TikTok de contenus dont le jeune public ne perd pas une miette.
Publié: 15.03.2022 à 08:48 heures
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Dernière mise à jour: 15.03.2022 à 11:17 heures

Depuis deux semaines, sur le compte de Marta Vasyuta, les vidéos d'elle apprêtée sur fond musical ont cédé la place à des images de bâtiments éventrés, de détonations et de soldats au front.

Coincée à Londres, cette étudiante ukrainienne de 20 ans en échange linguistique s'est faite le relais de ceux qui sont encore au pays et filment leur quotidien tragique.

«Ma mission, c'est de diffuser l'information, d'alerter, de ne pas arrêter de parler» de ce que vivent ses compatriotes, dit cette étudiante en économie de Lviv, dont certaines vidéos ont été vues plus de deux millions de fois.

Tutoriels

Parmi les nouveaux visages de ce TikTok qui fait sa mue, Valeria Shashenok, photographe de 20 ans, est restée plusieurs semaines, sous les bombes, à Tcherniguiv, au nord-est de Kiev. Comme Marta Vasyuta, elle est passée à l'anglais, pour augmenter la portée de ses vidéos surréalistes, du tutoriel pour cuisiner le bortsch depuis un abri, à des promenades dans les décombres sur un remix de Rihanna.

Elle fait partie des quelques Tiktokeurs qui n'ont pas renoncé à la légèreté, inscrite dans l'ADN du réseau social aux vidéos dépassant rarement la minute et qui compte plus d'un milliard d'utilisateurs.

Valeria Shashenok a entre-temps réussi à être évacuée de son abri et est arrivée saine et sauve en Pologne, comme elle le relate dans une vidéo.

«J'essaye de garder de l'humour, parce que c'est ma nature», explique, de son côté, Rimma, 23 ans, qui s'est filmée dans les couloirs d'un sous-sol d'Odessa avec la légende: «en Ukraine, on ne dit pas 'allons nous promener' mais 'allons voir l'abri le plus proche'». «Ma vie est en ruines», dit celle qui vient de se réfugier en Moldavie, dans la famille de son compagnon. «Il ne me reste que l'ironie.»

Pour autant, «la limite n'est plus claire entre ce sur quoi on peut plaisanter et ce qui peut blesser les gens», reconnaît cette dessinatrice aux cheveux mauves et roses.

Marta Vasyuta a doublé le nombre de ses abonnés en un mois et Valeria Shashenok l'a triplé. «Je ne tire aucun profit de ce que je fais», assure la première.

«Un rôle vital»

Il y a déjà plus de dix ans que guerres et révolutions s'invitent sur les réseaux sociaux, mais TikTok apporte encore davantage de spontanéité et draine un public plus jeune que YouTube ou Facebook.

Aux Etats-Unis, une partie de la «Gen Z» (née depuis la fin des années 90), qui ne regarde pas la télévision traditionnelle, a appris là à connaître un pays dont elle ne savait rien. «TikTok joue un rôle vital, parce que c'est là que la majorité de la jeune génération s'informe», selon Chris Dier, professeur d'histoire dans un lycée de la Nouvelle-Orléans et lui-même Tiktokeur.

La Maison Blanche a d'ailleurs communiqué cette semaine à 30 Tiktokeurs majeurs «les dernières informations venant d'une source qui fait autorité», a expliqué au Washington Post son directeur de la stratégie numérique, Rob Flaherty.

«C'est très difficile pour (les jeunes) de naviguer» sur le réseau social et d'appréhender l'événement, dit l'enseignant, «parce qu'ils sont bombardés de propagande de tous les côtés, en particulier de Russie». «C'est pour ça que les professeurs, les éducateurs, les historiens doivent y être pour aider la jeune génération» à se situer, exhorte Chris Dier.

Certains Tiktokeurs évoquent le sujet dans le langage de la plateforme, l'humoriste londonienne Nikita Redkar expliquant notamment que la Russie voit l'Otan comme un groupe de «meufs toxiques». «Ce n'est pas fait comme une blague», a-t-elle précisé mais «une manière d'informer parce que les nouvelles peuvent être intimidantes.»

«Moyens renforcés»

Sollicité par l'AFP, TikTok indique avoir dédié «des moyens renforcés» pour «détecter des menaces émergentes» sur la plateforme et «retirer de la désinformation préjudiciable».

Le 6 mars, le réseau social filiale du groupe chinois ByteDance a suspendu la mise en ligne de nouvelles vidéos en Russie, après le passage d'une loi sanctionnant les tentatives de «discréditer» les forces armées russes. Aujourd'hui, le flux des messages pro-russes s'est nettement réduit, même si des vidéos accusent encore les médias occidentaux d'utiliser des images d'archives ou les Etats-Unis de mentir sur la nature exacte du conflit.

Contrairement aux Tiktokeurs présentant le côté ukrainien du conflit, les vidéos en anglais sont rares. Le compte le plus populaire est celui de l'agence russe RIA Novosti, qui relaie régulièrement des accusations sans preuve, comme celles faisant état de laboratoires secrets d'armes biologiques en Ukraine financés par les Etats-Unis.

TikTok dit modérer aussi les contenus violents et prohiber les images de violence physique, de combat ou montrant la mort de quelqu'un. «J'espère que (les vidéos postées depuis l'Ukraine) montreront aux gens les dangers de la guerre et les pousseront à l'empêcher», professe Chris Dier. «Pas qu'elles les désensibiliseront et normaliseront la guerre à leurs yeux».

(AFP)

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