Il fut un temps où les patrons parcouraient le bureau et remarquaient quelles vestes pendaient sur le dossier de la chaise. Cela permettait de savoir quel collaborateur était sur place pour se consacrer pleinement à l'entreprise.
À l'heure du télétravail, cet indicateur de présence ne fonctionne plus. Dans de nombreux bureaux, il règne un vide sidéral, des écrans orphelins font face à des chaises inoccupées.
Le statut en ligne fait acte de présence
Pour que les cadres sachent malgré tout qui est au travail, ils ont besoin de nouveaux outils. L'indicateur de couleur verte dans les programmes de chat comme Slack, Google Chat ou Microsoft Teams est devenu l'équivalent 2.0 de la veste sur le dossier de chaise.
Ce statut signifie que la personne est en ligne et joignable. Un point orange indique quant à lui l'inactivité, alors qu'un point gris ou rouge indique l'absence du collaborateur. Désormais courantes dans les bureaux, ces couleurs sont utilisées par les employés à leur avantage. Pour que le patron pense qu'ils se sont réveillés tôt, certains prévoient par exemple de programmer des e-mails la veille pour le petit matin.
D'autres exemples plus extrêmes ne manquent pas d'ingéniosité comme ce curseur de souris qui empêchent l'ordinateur de se mettre en veille et qui maintient donc le statut de l'employé au vert. Aussi ingénieuses que soient ces astuces, il est évident qu'elles nuisent à l'entreprise et que les cadres tentent de les traquer autant que possible.
Différence entre travail fictif et travail inutile
Le phénomène n'est pas nouveau. En 2015, le sociologue suédois Roland Paulsen avait déjà décrit la simulation de travail et le simulacre d'activité dans son livre «Empty Labour». Pour lui, le «faux travail» ne se limite pas à simuler sa présence au bureau. Il s'agit aussi d'une participation superflue à une réunion en ligne par exemple, à laquelle on ne doit ni écouter ni apporter sa contribution.
Cela nuit tout autant à une entreprise: «Le faux travail consiste à faire semblant de travailler. Mais cela peut aussi correspondre à des tâches totalement inutiles qui vous sont attribuées», explique Matthias Mölleney, fondateur et directeur de l'agence de gestion du personnel Peoplexpert. Des rapports que personne ne lit, des réunions en ligne sans structure ni résultats clairs, des obligations de documentation et des obstacles bureaucratiques qui font partie de cette catégorie et qui ne font que prendre du temps et des ressources.
Le «faux travail» se distingue en deux sous-type: le travail fictif et le travail inutile. La différence entre les deux réside dans la personne qui agit, estime Matthias Mölleney. Dans le cas du travail fictif, le supérieur ne sait pas que son employé(e) fait simplement semblant de travailler activement. Mais dans le cas du travail inutile, c'est le travailleur qui ne sait généralement pas que sa tâche n'apporte rien à personne et ne fait que mobiliser des ressources.
Pourquoi donc confier des tâches inutiles? «Je pense que la plupart des supérieurs qui font cela veulent s'assurer qu'ils pourront en tout cas répondre à chaque question de leur propre supérieur», suppose Matthias Mölleney. Les cadres transmettent par exemple volontiers des mandats de recherche pour des questions qui, selon toute probabilité, ne seront jamais posées. Juste au cas où. Selon Matthias Mölleney, le travail fictif et inutile freinent tout autant la productivité de l'entreprise.
La productivité à travers les objectifs fixés
Mais comment mesure-t-on la productivité au juste? Selon un rapport publié par Slack, le service de messagerie pour les lieux de travail, un net écart existe entre les cadres et les collaborateurs lorsqu'il s'agit de la perception de la productivité.
L'entreprise appartenant à Salesforce a interrogé un millier d'employés de bureau et de cadres du développement de logiciels pour savoir à quoi ils mesuraient leurs performances. 33% des cadres interrogés ont indiqué qu'ils se fiaient beaucoup aux indicateurs d'activité et de visibilité – tel l'indicateur de statut vert – ainsi qu'aux heures passées au bureau.
En revanche, 27% des développeurs ont déclaré mesurer leurs performances en fonction des objectifs préalablement fixés en équipe. Nina Koch, directrice Customer Success chez Slack, résume brièvement les résultats: «Les responsables informatiques doivent créer une culture qui mesure les performances sur la base des résultats plutôt que sur les heures de travail ou les e-mails envoyés.»
Un sentiment de pression
Dans le cadre de l'enquête, 59% des employés ont indiqué qu'ils avaient le sentiment de devoir répondre rapidement aux messages, même à ceux qui sont envoyés en dehors des heures de travail. En outre, plus de la moitié des développeurs se sentent sous pression pour montrer constamment aux membres de leur équipe et à leurs supérieurs qu'ils sont productifs. Ce décalage crée un terrain fertile pour le travail fictif. «La perte de productivité de nombreuses entreprises est donc souvent auto-infligée, ajoute Nina Koch. Il n'est pas étonnant que les développeurs interrogés aient le sentiment de devoir toujours réagir aux messages, même en dehors des heures de travail.»
Une étude de Deloitte vient étayer cette évaluation. Elle indique que depuis la fin de la pandémie, le nombre de réunions en ligne a certes augmenté, mais que leur durée a diminué. Ce n'est pas une évolution positive, selon Matthias Mölleney: «Le seuil d'inhibition pour convoquer une réunion est devenu nettement plus bas.» Pour lui, cela induit que les collaborateurs sont constamment convoqués et ne peuvent pas se concentrer sur leur travail.
La transparence est essentielle
Le seul moyen pour freiner le travail fictif et inutile est la transparence. «Les dirigeants devraient toujours communiquer clairement la stratégie et les objectifs», explique Matthias Mölleney. Les employés sauraient ainsi sur quoi ils doivent se concentrer et pourraient mieux évaluer si le travail qui leur est attribué est réellement utile à cet égard.
«La santé mentale des collaborateurs est très importante à cet égard», poursuit l'expert RH. Grâce à une communication transparente, un collaborateur peut certes savoir si son travail est important, mais il doit aussi pouvoir exprimer ses doutes à son supérieur. Car si l'on crée, en tant que cadre, un environnement de confiance et que l'on donne aux collaborateurs la certitude qu'ils ne seront pas punis s'ils émettent des critiques, c'est, selon l'expert, le meilleur moyen de faire disparaître le travail fictif de l'entreprise.
L'importance de communiquer
Si cette culture s'est installée dans une entreprise, cela permet de lutter contre les deux formes de «faux travail», abonde Nina Koch: «Les dirigeants de tous les départements doivent comprendre comment les employés perçoivent leur charge de travail et savoir si les employés bénéficient du bon environnement pour être productifs.» Si ce n'est pas le cas, les collaborateurs doivent pouvoir faire part de leurs besoins et doivent se sentir pris au sérieux.
Faire semblant de travailler peut aussi être la conséquence d'un manque de sollicitation. Si, en tant que cadre, on offre aux collaborateurs la possibilité d'exprimer leurs souhaits et de se développer, ils ne se sentiront plus obligés d'accrocher leur veste sur la chaise ou d'activer le curseur de la souris.