Sur les eaux calmes d'un lac, un étrange petit bateau anthracite fait des allers-retours, traçant un sillon. Voici un des drones navals ukrainiens qui ont permis à ce pays, privé de bateaux de guerre, de repousser la flotte russe en mer Noire.
Depuis la berge, debout devant une large mallette noire, un militaire manipule du bout des doigts deux joysticks et fait faire de violentes embardées à l'embarcation. Aux commandes, «Treize», de son nom de guerre, réalise une démonstration du Magura V5, un drone naval de construction ukrainienne, à laquelle l'AFP a été conviée, sur un lieu tenu secret à la demande de l'armée.
5 mètres de long et de nombreuses victoires
Visage dissimulé, l'homme commande l'unité qui porte aussi le nom «Treize» et pilote les Magura pour les services du renseignement militaire ukrainien, structure réputée pour ses opérations osées contre la Russie, souvent réalisées à l'aide de drones aériens ou navals.
Quand il pousse les gaz du drone, un sourire se devine sous son foulard militaire. «Ça va jusqu'à 80 km/h et peut porter une ogive de 320 kg» d'explosifs, explique-t-il. C'est avec ce genre de petit engin de 5 mètres de long que «Treize» a revendiqué de nombreuses victoires ayant fait vaciller la puissante flotte russe en mer Noire.
Il s'agit du seul succès majeur de l'armée ukrainienne depuis fin 2022, sa grande contre-offensive de l'été dernier ayant largement échoué et les forces de Kiev étant désormais en difficulté face aux avancées des forces de Moscou dans l'est du pays. Au total, Kiev revendique avoir détruit jusqu'à 30% des bateaux de guerre russes.
Paralyser la flotte russe
Sur la liste du Magura figurent notamment le navire patrouilleur Sergueï Kotov, détruit le 5 mars, la corvette lance-missile Ivanovets, touchée le 1er février, et le Caesar Kounikov, treize jours plus tard au large de la Crimée. Une série de succès qui a forcé les navires russes à se replier vers des ports plus à l'Est, voire en Méditerranée, selon la marine ukrainienne.
«Avec un petit nombre de drones maritimes, on a paralysé la flotte ennemie», se vante «Treize» à l'AFP. «Si vous ouvrez une carte de la mer Noire aujourd'hui, vous n'y verrez pas un seul navire de guerre russe», assure-t-il.
Distrait par la présence des journalistes, le militaire en oublie sa machine qui avance tranquillement avant de heurter la berge. Affolé, il se précipite sur les manettes. «Vous auriez pu me prévenir! C'est un engin fragile!» qui «peut s'abimer sur les rochers», explique-t-il.
Des drones qui «ne coûtent rien»
Equipé d'un propulseur identique à celui d'un jet-ski et doté d'une coque en aluminium, le Magura V5 est simple de fabrication et très peu cher à confectionner. «Comparé au prix d'un navire de guerre, on peut dire que le drone est gratuit», dit-il d'un ton moqueur.
Une analyse que partage Huseyn Aliyev, spécialiste de l'Europe de l'Est à l'Université de Glasgow. Comparés aux bateaux russes, les drones ne «coûtent rien», relève le chercheur auprès de l'AFP, décrivant «une situation très inhabituelle qui ne s'est jamais produite» dans un autre conflit.
Pour Huseyn Aliyev, le nombre de drones impliqués dans les opérations sur terre et sur mer a augmenté de façon «incroyable» en deux ans d'invasion russe de l'Ukraine. «C'est probablement l'arme numéro un de nos jours, plus importante que l'artillerie et les véhicules blindés», estime-t-il.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a récemment évoqué le Magura V5, estimant qu'avec ce type d'engins la Russie «comprend que l'agression (de l'Ukraine) a vraiment un prix». Le chef de l'Etat a par ailleurs signé en février un décret sur la création d'une force de drones distincte au sein des armées ukrainiennes.
Une expertise «qu'aucun autre pays ne possède»
Selon Huseyn Aliyev, le développement de drones maritimes a donné à l'Ukraine un «avantage considérable» dans ce domaine et une expertise «qu'aucun autre pays ne possède».
Car l'arsenal de Kiev comprend tout un panel d'engins sans pilote, comme des sous-marins ou encore des bateaux pneumatiques, les «Sea Baby» utilisés par les services de sécurité ukrainiens, notamment contre l'emblématique pont de Crimée reliant cette péninsule ukrainienne annexée à la Russie. «On ne dépend de personne», abonde le commandant «Treize», «et personne d'autre que nous n'a coulé autant de navires», avance-t-il.
Le militaire raconte que les Russes tentent de trouver des solutions pour contrer et détruire les Magura V5, comme embarquer plus de mitrailleuses sur les navires. «On a un coup d'avance, même si la guerre évolue constamment», se targue-t-il en regardant naviguer sa petite embarcation sous un soleil de plomb. «Ce n'est que le début de la guerre des drones», assure-t-il.
(AFP)