La scène se déroule dans un coin de la grande salle de presse du sommet de l’OTAN à Madrid. Deux officiers supérieurs de l’Alliance, en uniforme, discutent avec des journalistes finlandais, suédois… et turcs. Objectif pour ces deux gradés en poste à Mons (Belgique) où se trouve le QG de l’Alliance Atlantique: répondre en «off» à quelques questions sur la levée de l’embargo suédois sur les livraisons d’armes à la Turquie, alors que Joe Biden et ses pairs débattent en session plénière de la guerre en Ukraine.
La Suisse, «partenaire pour la paix» de l’OTAN
L’auteur de ces lignes s’incruste dans la discussion pour parler de la Suisse, qui n’a pas été invitée à Madrid malgré sa participation au «partenariat pour la paix» de l’Alliance. Que vaut sa neutralité, après les demandes d’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède? Les officiers ne savent pas quoi répondre. Puis l’un consulte son smartphone: «Dans votre position géographique, au cœur du continent, le problème n’est pas d’être neutre. Il est d’avoir les moyens de se défendre. Pour nous, ce seuil est fixé à 2% du Produit intérieur brut. Vous venez en plus, comme la Finlande, d’acheter des F-35 Américains. Si votre neutralité est armée, elle nous convient.»
Etre neutre en 2022, au cœur d’un continent frappé de nouveau par la guerre sur son flanc oriental: cette spécificité va de nouveau être à l’avant-scène lors de la quatrième conférence sur la reconstruction de l’Ukraine (URC 2022) qui se tiendra à Lugano (Tessin) les 4 et 5 juillet. Plusieurs pays de l’OTAN y participeront et des représentants de l’Alliance seront présents. A Madrid, certains affirment que le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg pourrait y retrouver la présidente de la Commission européenne Ursula Von Der Leyen, dont la présence est déjà confirmée.
Pas de comparaison possible avec la Suède et la Finlande
Faut-il y voir une reconnaissance de la neutralité de la Confédération qui, par la décision du 28 février 2022, a décidé de reprendre les sanctions de l’UE contre la Russie? «Il n’y a pas de comparaison possible entre la Finlande, la Suède et la Suisse, même si les Suédois avaient une vision plus idéologique que nous de la neutralité, juge l’ancien ministre finlandais des Affaires étrangères Alexander Stubb. Vous n’avez pas, comme nous, à traiter de la sécurité d’une région cruciale pour la stabilité de l’Europe comme la mer Baltique. Vous n’avez pas de frontière commune avec la Russie.»
L’achat de 36 chasseurs américains F-35 prise en juin 2021 par la Suisse pèse-t-elle aussi dans cette Alliance dominée par les Etats-Unis, qui entend bien réaffirmer sa puissance vis-à-vis de Moscou et de Pékin? Le commandant en chef de l’OTAN, le général américain de l’US Air Force Todd Wolters, précise à ce sujet, à Madrid, lors d'un briefing devant les journaliste accrédités: «Au sujet des F-35, je maintiens les chiffres avancés avant la guerre en Ukraine. Nous prévoyons, d’ici 2030, le déploiement de 450 appareils F-35 en Europe. Ceux qui seront équipés de cet avion en profiteront.»
La Suisse figure, dans ce groupe de clients de Lockheed Martin, aux côtés des Etats-Unis, de la Belgique, du Danemark, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Pologne, et du Royaume-Uni. L’Allemagne a aussi promis d’en acheter 35, après avoir ces jours-ci passé commande de 15 Eurofighters supplémentaires (l’un des avions européens rejeté par le Conseil fédéral, avec le Rafale Français, ndrl). Les premiers F-35 achetés par Berne devraient être livrés en 2027.
«La neutralité, ce n’est pas le pacifisme. C’est un combat»
Reste la question du budget de la défense. La Suisse, qui dépense actuellement environ cinq milliards de francs par an en dépenses militaires, a promis de passer à sept milliards d’ici à 2030. Ce qui représentera un peu plus de 1% de son Produit intérieur brut (environ 700 milliards de francs en 2021), soit la moitié du seuil de 2% exigé de ses membres par l’OTAN d'ici à 2024.
Là, les experts de l’Alliance veillent. «Etre neutre et mal armée serait la pire des options pour la Suisse, poursuit un porte-parole de l’OTAN. Un bon partenaire neutre est un pays qui partage nos valeurs, mène avec l’Alliance des opérations conjointes, mais assure de façon indépendante et fiable sa défense.» En 2021 déjà, l’ancien président français François Hollande nous avait confié: «En 2021, en Europe, la neutralité ne peut pas se résumer au repli sur soi et à la fermeture des frontières […] La neutralité, ce n’est pas le pacifisme. C’est un combat.» A bon entendeur…